La réforme de l’accès à l’université votée. Avec des attendus qui en disent peu, mais très long

Les députés ont adopté, jeudi 14 décembre, le projet de loi « Orientation et réussite des étudiants » après seulement trois jours et 16 heures de discussion. Pour la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, qui présentait mardi 12 décembre le projet, la nouvelle plateforme Parcoursup qui doit remplacer la controversée APB, a pour objectif de passer d’un « traitement de masse » par algorithme à « un principe simple et juste ». L’un des points clefs est la réforme de l’entrée à l’université. Et les “attendus” qui ouvriront ou fermeront dès la rentrée 2018 les portes de l’enseignement supérieur ont de quoi inquiéter, comme la logique qui les sous-tend (une réelle sélection) ou le fil rouge général de cette réforme (adapter les flux aux places existantes).
A compter du 22 janvier 2018, les lycéens pourront postuler en licence via Parcoursup, la plate-forme qui remplace APB. Pour chaque filière, des “attendus” seront listés, avec quelques variantes possibles d’une université à l’autre. En cas de capacité d’accueil limitée, seront prioritaires les candidatures qui répondent à ces exigences.
La grande nouveauté réside donc dans le fait que les universités devront désormais examiner l’adéquation entre le profil d’un candidat et la formation demandée, avant de les accepter ou de les inscrire dans la licence sous réserve du suivi d’un parcours de remise à niveau ; ou encore, lorsque les capacités d’accueil seront atteintes, de les refuser.
La porte ouverte à l’arbitraire universitaire ?
La question est donc de savoir quelles compétences devront avoir les bacheliers pour entrer et réussir à l’université puisque c’est l’argument-phare défendu par la ministre ? Or les attendus sont très généralistes. L’expression écrite et orale, l’aptitude à la logique et au raisonnement, ou encore à l’analyse et à la synthèse de texte seront incontournables pour rejoindre une formation de droit ; l’intérêt pour la démarche scientifique, le bon niveau dans au moins une langue étrangère ou encore la curiosité intellectuelle seront demandés en histoire ; en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), il faudra attester de compétences scientifiques, mais aussi sportives et d’un intérêt pour l’exercice de responsabilité collective, associative ou citoyenne…
La grande perplexité — pour ne pas dire plus — vient de ce que le cadrage ministériel ne précise pas les critères qui vont être utilisés par les universités pour évaluer si ces attendus très génériques sont remplis. Relevés de notes, filières de bac, lettres de motivation, documents attestant d’activités extrascolaires… Le texte prévoit que chaque université sera libre de choisir le poids des critères entrant en compte, en s’appuyant sur les informations que déposeront les candidats sur la future plateforme d’admission. Mais comment les universités (et avec quels personnels) évalueront-elles « la logique » ou « le raisonnement conceptuel » ? Avec les notes de philosophie ? Selon l’établissement d’origine ? Avec les lettres de motivation écrites par les parents « sachants » ? La personnalisation promise risque bien d’aboutir à l’arbitraire, et à un renforcement dans les inégalités (des codes) d’accès au supérieur.
Ce qu’il faut noter enfin, c’est que l’on assiste aussi à une vraie évolution du référentiel avec “plus de barrières à franchir”, comme le suggère déjà un certain nombre de lycéens. Jusqu’à présent c’étaient les enseignants du secondaire qui donnaient, à travers le bac, la clé d’accès au supérieur. Désormais, ce seront les universités et autres établissements du supérieur qui feront leur marché.
L’opacité contre la démocratisation
Dans le nouveau système, les élèves de terminale ont donc eu connaissance (au moins en théorie) des attendus dès cette mi-décembre pour envisager leurs choix dans la nouvelle plateforme qui remplace APB. Les enseignants pourront leur faire leurs premières recommandations dans le cadre du premier conseil de classe si celui-ci n’a pas déjà eu lieu. Lors du (très long) conseil de classe du deuxième trimestre l’équipe pédagogique et le chef d’établissement seront censés émettre un avis (éclairé ?) sur chacun des 10 vœux effectués par chaque lycéen. Le problème c’est que, dans la réalité, les attendus ne sont pas assez transparents pour aider le lycéen à se repérer ou pour guider les enseignants du secondaire, même si ceux-ci avaient matériellement le temps de discuter chacun des dix choix de tous leurs élèves.
Derrière les annonces ministérielles (« achever la démocratisation de l’enseignement supérieur et réaliser la promesse de progrès individuel et collectif qui l’accompagne : voici en un mot l’esprit qui anime le Gouvernement »), il y a les faits et, en l’occurrence, les textes mis sur la table. La démocratisation du supérieur est au point mort. Le projet calque en effet sur l’université le mode d’accès des filières d’élite : avis du conseil de classe puis recrutement sélectif sur dossier.
Lycéens/Etudiants de seconde zone ?
La lecture attentive des attendus en économie gestion ou en sanitaire et social indique clairement que ces filières seront fermées aux bacheliers technologiques. Quant aux bacheliers professionnels ils peuvent carrément renoncer à toutes les licences. Si la question de l’échec en licence, souvent par faiblesse d’un travail d’orientation efficace en amont, est un réel souci pour beaucoup trop de lycéens, l’argument ne peut être détourné pour mettre au ban du monde étudiant des catégories entières de lycéens étiquetés par avance, et discriminés de facto. On met toujours en avant le taux d’échec des bacheliers professionnels qui entrent à l’université. Mais il faudrait aussi rappeler — comme le fait le Café pédagogique — celui des bacheliers S, censés être « l’élite » des lycéens français qui, au bout de 4 ans, sont la moitié (49.2%) à être en échec.
Plus de mixité… et de complexité
À l’occasion de l’examen du projet de loi réformant l’accès dans le supérieur, les députés ont adopté à l’unanimité des quelques 60 députés présents un amendement socialiste pour favoriser la mixité sociale dans les filières sélectives. Plus précisément, l’Assemblée Nationale a prévu que « l’autorité académique » fixe « un pourcentage minimal » de bacheliers bénéficiaires d’une bourse au lycée pour l’accès aux filières sélectives, « notamment les classes préparatoires aux grandes écoles », ainsi que les BTS, les IUT, les écoles… Une disposition qui suscite déjà une indignation feutrée mais réelle dans les fabriques de l’élite, comme le rélève Le Monde.
Dans un autre amendement adopté, les députés ont rendu obligatoire la mise en place d’un seuil minimal de boursiers dans les licences universitaires dont le nombre de places se révélera insuffisant, ainsi qu’un seuil maximum de bacheliers issu d’une autre académie. Une manière de « garantir la mixité sociale et géographique ». Le projet de loi a également été retouché pour faciliter l’admission des candidats qui résident à l’étranger.
La publication des codes sources de la future plate-forme Parcoursup, qui va succéder à Admission Post-Bac (APB) a également été demandée comme retouche indispensable.
Reste maintenant une autre inconnue : quand et comment les informations vont-elles arriver aux lycéens et à leur famille ? La FCPE Paris sera particulièrement vigilante et mobilisée pour une égale qualité de cette information auprès de chaque public lycéen.
Sur le site du ministère, vous pouvez consulter la page « Plan Étudiants : informations pratiques pour les familles »