Remplacement des enseignants : le diagnostic et les recommandations de la Cour des comptes
Le 8 mars 2017, la Cour des comptes a rendu public un référé, adressé le 23 décembre 2016 à la Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur « Le dispositif de remplacement des enseignants des premier et second degrés ».
Un référé, pourquoi, comment ?
En application du code des juridictions financières (article R. 143-1), les référés sont adressés par la Cour des comptes au Premier ministre ou aux ministres concernés pour leur faire connaître les observations et recommandations formulées sur la gestion des services de l’État et des autres organismes publics.
À l’issue du délai de deux mois dont disposent les destinataires pour répondre, ces référés, accompagnés des réponses qui leur sont le cas échéant apportées, sont transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat (article L. 143-5), et sont rendus publics.
Un pilotage global qui demeure insuffisant
Pour la Cour des comptes, le dispositif de remplacement des enseignants des premier et second degrés mobilise d’importants moyens pour compenser 13,6 millions de journées d’absence : en 2015, plus de 65 000 enseignants titulaires remplaçants et près de 30 000 contractuels étaient en fonctions dans le secteur public, et 23 000 remplaçants dans le secteur privé, pour une charge budgétaire supérieure à 2,8 Md€. Si le taux de couverture des absences longues (plus de 15 jours) est de 80 % dans le premier degré et de 97 % dans le second, la Cour observe que le remplacement de courte durée dans le second degré reste « le point faible du dispositif ». Elle estime que « le pilotage global demeure insuffisant et les absences de courte durée pourraient être diminuées en réduisant les absences dites « institutionnelles » liées au fonctionnement même du système éducatif et en intégrant la mission de remplacement aux missions liées au service d’enseignement dans le second degré ». La Cour estime également que « dans les collèges et lycées, les chefs d’établissement gagneraient par ailleurs à voir leurs compétences en la matière substantiellement renforcées ».
Le point faible ? Le remplacement de courte durée dans le second degré
Quand elle mentionne « l’échec durable du remplacement de courte durée dans le second degré », phénomène décrié par la FCPE depuis des années, la Cour évoque « une situation dégradée et mal connue qui alimente les tensions avec les familles ».
La FCPE demande en effet depuis longtemps non seulement une réelle effectivité de ces remplacements de courte durée mais également une totale transparence sur la gestion de ceux-ci. Pour la Cour des comptes — qui précise à juste titre que « les familles, très sensibles aux absences courtes et notamment aux absences perlées , même de quelques heures, s’estiment mal informées » — « le degré d’effectivité du remplacement de courte durée (RCD) est difficile à mesurer ; d’une part, le nombre d’heures à remplacer est largement sous-évalué en raison du caractère déclaratif du suivi des absences, d’autre part, le nombre d’heures de remplacement (heures supplémentaires d’enseignement ou HSE) est surestimé, certains chefs d’établissement attribuant des HSE allouées à ce titre à d’autres usages. Ainsi, le ministère s’appuie sur des données biaisées pour estimer à un tiers le taux de couverture des absences de courte durée ». Sur le terrain, on serait donc plutôt entre 5 % à 20 % d’absences de courte durée remplacées, selon les établissements.
Réduire les absences institutionnelles des enseignants
Une des pistes envisagées par la Cour, qui risque de susciter des réactions côté enseignants, consiste à « poursuivre l’effort de réduction des absences institutionnelles des enseignants, principalement en programmant le plus souvent les actions de formation hors les heures d’enseignement ».
La Cour constate que le RCD repose « faute d’autres leviers, sur un volontariat difficile à mobiliser ».
Un cadre règlementaire inappliqué
La Cour pointe en outre « un cadre règlementaire inappliqué, très récemment relancé mais sans mesures d’accompagnement ». Il s’agit des fameux protocoles locaux de remplacements réactivés par le Ministère à l’automne 2016.
« La pratique observée par la Cour est en discordance avec le dispositif réglementaire (décret no 2005-1035 du 26 août 2005 relatif au remplacement de courte durée des personnels enseignants dans les établissements d’enseignement du second degré, pris en application de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école) qui a confié l’organisation du RCD au chef d’établissement. Celui-ci doit élaborer, en concertation avec les équipes pédagogiques, un protocole qui fixe les objectifs, les principes et les modalités pratiques d’organisation propres à l’établissement. Une disposition novatrice permet au chef d’établissement de désigner les personnels «lorsque cela est nécessaire pour assurer la continuité de l’enseignement». Cette nouvelle compétence, mal accueillie par le corps enseignant et ses organisations syndicales, a suscité des réactions qui ont entraîné de facto l’inapplication du texte depuis dix ans ».
La Cour semble partager le scepticisme de la FCPE dans le scénario qu’elle dessine : « des protocoles dev(r)aient être présentés aux conseils d’administration d’ici la fin de l’année 2016 avant d’être diffusés aux parents d’élèves. Un bilan sera dressé en fin d’année scolaire. Toutefois, comme aucune mesure renforçant les prérogatives des proviseurs de lycées et principaux de collège n’accompagne les décisions ministérielles, il est à craindre que cette nouvelle initiative n’ait pas plus d’effets que la précédente ».
Sur le terrain, les parents élus en CA ne constatent que très rarement l’inscription de ce point à l’ordre du jour…
Trois recommandations
La Cour formule trois recommandations :
“Recommandation n°1 : mentionner la mission de remplacement dans les missions liées au service d’enseignement qui composent, avec le service d’enseignement, les obligations de service des enseignants du second degré ;
“Recommandation n°2 : fiabiliser le pilotage du remplacement et améliorer l’information sur le dispositif :
- parfaire la connaissance du besoin de remplacement et sa couverture, en particulier dans le second degré public et dans l’enseignement privé ;
- harmoniser les règles d’imputation des moyens entre les trois programmes budgétaires d’enseignement de la MIES relevant de l’Éducation nationale ;
“Recommandation n°3 : rendre effectif le remplacement des absences de courte durée dans le second degré :
- créer les conditions de l’application effective du protocole prévu par le décret no2005-1035 du 26 août 2005, en renforçant les prérogatives des chefs d’établissement dans la gestion des remplacements de courte durée ;
- accentuer l’effort de réduction des absences institutionnelles des enseignants, a minima celles résultant de l’organisation de la formation continue”.
Côté ministère, la force tranquille… piquée au vif
Dans sa réponse à la Cour des comptes en date du 24 février 2017, la Ministre de l’Education annonce très vite la couleur, de nature à rassurer les syndicats enseignants : « le ministère n’envisage pas de modifier à courte échéance la réglementation pour inclure la mission de remplacement, compte tenu des nombreuses évolutions statutaires récentes et du dispositif réglementaire existant en la matière ». Le ministère se veut rassurant : « un projet de décret relatif à l’exercice des fonctions de remplacement dans le premier degré est en cours d’élaboration. Il permettra de sécuriser la situation des enseignants remplaçants, tout en améliorant l’efficacité du remplacement via un décloisonnement de sa gestion ». La FCPE est impatiente de lire le décret précisant tout cela…
Sur la question de la connaissance du besoin de remplacement et de sa couverture, la ministre « se félicite des avancées constatées par la Cour en matière de construction des indicateurs du remplacement dans le premier degré public » mais concède que « s’agissant du second degré public, le constat des limites inhérentes aux outils RH actuels (est) partagé ».
Avancées et perspectives… limitées ?
Il s’agit surtout pour le Ministère de rappeler les avancées : « pour le premier degré public, les besoins de remplacement sont systématiquement pris en compte dans le nouveau processus d’allocation des moyens dans les mesures de rentrée. S’agissant, par exemple, des besoins de remplacement pour l’amélioration de la formation continue des enseignants, 1400 emplois ont été répartis entre les académies à la rentrée 2016, et environ 1 500 emplois supplémentaires à la rentrée 2017. Par ailleurs, le modèle d’allocation intègre les besoins de remplacement. Il est construit sur la base d’une régression linéaire à l’échelon départemental, sur la base des critères social et territorial ».
Avant d’ouvrir des perspectives : s’agissant du second degré « la rénovation du modèle d’allocation, dont les travaux sont en cours, devrait permettre d’affiner la prise en compte du remplacement ».
En regrettant au passage la « sévérité » de la Cour qui pose que « le ministère ne mène pas de politique volontariste pour promouvoir auprès des services déconcentrés des leviers d’efficience pourtant bien identifiés ».
Le Ministère souscrit par contre pleinement à la recommandation de la Cour appelant à poursuivre l’effort de réduction des absences institutionnelles des enseignants, principalement en programmant le plus souvent les actions de formation hors les heures d’enseignement.
A quelques mois des élections présidentielle et législatives, personne ne peut toutefois garantir quel scénario sera celui de la rentrée 2017-2018 ni quels seront les dispositifs et moyens conservés et sanctuarisés pour les années à venir afin d’améliorer encore le remplacement des enseignants…
Décret circulaire à suivre…
Dans son communiqué de presse du 8 mars, au moment où la Cour rend public son référé et la réponse qui a été faite, le Ministère reconnaît que « le rapport pointe des difficultés connues que le ministère ne sous-estime pas » et rappelle les 7 mesures pour améliorer le remplacement, mesures qui seront effectives à la rentrée 2017.
On y apprend que les organisations syndicales viennent d’être consultées sur le projet de décret et de circulaire et le Ministère annonce que « les discussions aboutiront dans les prochains jours pour permettre la publication de ces textes qui mettront en œuvre l’ensemble des mesures ».
Accéder à la page de la Cour des comptes :
http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-remplacement-des-enseignants-absents