Affectation des élèves de 3e en lycée GT à Paris : bilan 2021 et évolutions en 2022

L’affectation des élèves de 3e au lycée à Paris est une singularité en France. Cette particularité résulte d’un long historique de mise en concurrence entre les lycées parisiens, agrémenté de clientélisme émanant de nombreux parents pour que leurs enfants intègrent les « meilleurs lycées » tels qu’ils les conçoivent – tous les parents n’adoptant pas les mêmes critères ni les mêmes hiérarchies. Les parents sont maintenus dans la promesse qu’une scolarité suivant la « voie royale » assurera un « avenir radieux » à leurs enfants, tant sur le plan scolaire que professionnel. Force est de constater que cette promesse était et demeure illusoire : les lycées de niveau ont un effet délétère sur la réussite scolaire comme sur l’épanouissement des élèves.
La refonte de la procédure Affelnet par le rectorat affichait des objectifs communs avec les demandes réitérées par la FCPE Paris au fil des ans, notamment pour en finir avec les lycées de niveau à Paris. Un premier bilan subjectif réalisé cet automne a été complété et étayé par des données quantitatives dans le cadre du comité de suivi présidé par Julien Grenet, chercheur au CNRS. Ces éléments ont permis au groupe de travail de se réunir en janvier pour discuter des résultats de la refonte de 2022 et discuter des objectifs de la FCPE Paris pour la rentrée 2023.
L’anomalie parisienne : une ségrégation scolaire exacerbée
Depuis la fin de la sectorisation en 2008, et jusqu’à l’année dernière, les élèves pouvaient émettre dix vœux selon une répartition en quatre districts. La mixité sociale des lycées à Paris s’était alors accrue, permettant aux élèves d’un même district de postuler aux mêmes lycées quel que soit leur arrondissement d’origine.
Cependant, Paris est l’une des villes les plus socialement ségréguée en France. A la ségrégation sociale dans les quartiers s’ajoute une forte ségrégation scolaire : les procédures d’affectation en seconde (Affelnet) ont, au fil des ans, renforcé la hiérarchisation des lycées parisiens en lycées de niveau. Une priorité en termes d’affectation était donnée aux élèves ayant les meilleurs résultats scolaires, institutionnalisant la concurrence entre lycées. Certains lycées dits “très attractifs” n’étaient accessibles qu’à des jeunes avec d’excellentes notes, d’autres, moins demandés, concentraient des élèves de niveau scolaire plus faible.
En 2021, 11 643 collégiens parisiens en classe de 3ème (dont 845 inscrits dans un collège privé) ont émis des vœux pour intégrer un lycée en seconde générale et technologique. Selon Julien Grenet, président du comité de suivi de la réforme Affelnet, la ségrégation scolaire à Paris est 4,8 fois plus élevée que la moyenne nationale, et aucune autre académie ne présente d’indice de ségrégation de cet ordre de grandeur. Depuis des années, la FCPE Paris demandait la refonte du système d’affectation, pour promouvoir la mixité scolaire tout en maintenant la mixité sociale et mettre fin aux lycées de niveau.
Premier bilan qualitatif : moins d’élèves non affectés mais une procédure parfois mal comprise
A l’issue de la nouvelle procédure Affelnet 2021, le nombre d’appels et de familles accompagnées par la FCPE a été considérablement diminué, sans commune mesure avec les années précédentes, et ne s’est pas prolongé tout l’été. Le Rectorat indique de son côté ne pas avoir été interpellé par les syndicats ni par les enseignants isolés qui leur signaleraient des situations particulières dans des lycées suite à la rentrée 2021 et la mise en place de la réforme Affelnet.
En 2021, les élèves non-affectés et ceux non-satisfaits dans leurs premiers vœux avaient un profil très différent des années précédentes. Auparavant, les élèves qui se situaient dans les barèmes les plus faibles étaient les principaux concernés par ces problèmes. Ils étaient répartis sur tous les arrondissements, mais avec une plus forte incidence dans l’ancien district EST. Cette année, le profil de ces élèves a profondément changé, et de nombreux dossiers concernaient des élèves ayant des barèmes élevés, voire très élevés. Si une partie de ces élèves a été victime de problème structurels, d’autres avaient quant à eux restreint leurs vœux à des lycées qu’ils ne pouvaient pas atteindre au vu de leur barème. Pour d’autres la formulation des vœux, incidemment résultante de l’accompagnement des familles, a été déficiente. Par ailleurs, de nombreux problèmes ont été remontés au sujet de la plateforme dédiée aux cursus spécifiques (confusion entre parcours classiques et spécifiques, difficulté à remplir les dossiers), excluant de fait les enfants des familles les plus éloignées du numérique.
Avec ce premier bilan, et les discussions lors de la première réunion du groupe de travail Affelnet du 13 octobre, la FCPE constate que la procédure est toujours mal comprise par beaucoup de parents comme par les personnels de l’éducation nationale.
Des progrès selon la communauté éducative
Du coté des représentants des lycéens, les conseils de vie lycéenne (CVL) remarquent une diminution de la ségrégation sociale et scolaire, et souhaitent que tous les lycéens puissent avoir une bonne image de leur lycée quel qu’il soit. Ils demandent qu’un taux cible sur les niveaux scolaires soit envisagé afin d’améliorer la mixité scolaire et ainsi lutter contre l’entre-soi, néfaste pour tous.
Les représentants des principaux et proviseurs partagent des retours plutôt positifs dans l’ensemble, avec des variations selon les lycées. Si beaucoup soulignent que leurs élèves sont satisfaits de leur affectation, et qu’il y a eu peu de “fuites” lors des inscriptions, certains établissements s’inquiètent d’un “changement de type de public”. Ils soulignent la persistance d’une forme d’autocensure dans les vœux, avec certains lycées qui effraient des élèves craignant d’y être “maltraités”. Les lycées extérieurs aux anciens districts restent moins demandés, les élèves comme leurs parents étant réticents à intégrer un lycée dont ils n’ont jamais entendu parler. Les frontières entre les anciens districts perdurent dans l’inconscient collectif. Les représentants des personnels de direction reconnaissent le rôle majeur joué par les fédérations de parents d’élèves pour informer, accompagner et rassurer les familles lors de l’inscription au lycée d’affectation.
Un proviseur d’un lycée élitiste a évoqué une forme de “traumatisme” ressenti par la communauté éducative. Celle-ci craint que les parents se sentent pénalisés par le niveau d’exigence pour Parcoursup, et que les jeunes lycéens s’ennuient au sein de classes plus mixtes scolairement. De plus, dans cet établissement, les heures HSE préalablement dédiées à l’accompagnement et à la préparation aux concours devront être réallouées en soutien et remédiation scolaire pour des élèves en difficulté.
Le bilan quantitatif du comité de suivi
Le 17 décembre 2021, le comité de suivi, présidé par Julien Grenet, a dressé un bilan nettement positif, que ce soit en termes du nombre d’élèves non affectés ou en termes de taux de satisfaction du vœu 1 comme des trois premiers vœux.
En 2021, 96.8% des élèves scolarisés en collège public ont été affectés au premier tour. Ce taux s’élevait à 94,7 % en 2020 et 96,1% en 2019. En outre, le nombre d’élèves non affectés parmi les élèves scolarisés dans les collèges publics a fortement diminué. Au premier tour, 345 élèves du public étaient sans affectation en juin 2021, contre 573 élèves non affectés en 2020, et 415 en 2019. Inversement, le nombre d’élèves du privé sans affectation en seconde GT d’un lycée public a augmenté, passant de 165 élèves en 2020 à 186 élèves en 2021.
Globalement, la part des affectations au 1er vœu a augmenté, suite à la réduction du périmètre des secteurs par collège, passant de 51.8% en 2020 à 58,7 % en 2021. De plus, le taux de satisfaction des vœux 1 à 3 a atteint 85,1 % en 2021, contre 80,1 % en 2020 et 82,8 % en 2019.
Cependant, quatre lycées ont été pas (ou peu) accessibles en secteur 1 (Sophie Germain, Condorcet, Chaptal et Charlemagne) pour certains collèges. Les plus gros problèmes d’accès au lycée concernaient les collèges Courteline (vers le lycée Charlemagne), Condorcet (vers Condorcet), et Chaptal (vers Chaptal). Les collèges Gréard, Chaptal, Mallarmé, César Franck, Couperin, Louise Michel, Beaumarchais ont également rencontré des problèmes d’affectation. Dans ces établissements, le manque d’accompagnement aux élèves dans leurs choix expliquerait en partie ces tensions. En revanche, aucun problème majeur n’a été rencontré dans le Sud parisien, à l’exception de Montaigne, ni dans les 19ème et 20ème arrondissements.
L’accessibilité des lycées en secteur 2 et 3 reste toujours difficile, mais c’est la contrepartie d’une quasi garantie pour les lycéens d’intégrer un de leurs 5 lycées de secteur 1. En 2021, 14 lycées étaient accessibles en secteur 2 pour les élèves non boursiers, contre 27 non accessibles. Néanmoins, les élèves boursiers ont pu accéder plus facilement aux lycées de secteurs 2 et 3, grâce aux quotas d’élèves boursiers redéfinis en 2021.
Intégration du privé au dispositif Affelnet
En 2021, le nouveau dispositif Affelnet intégrait 9 établissements privés sur les 10 du réseau laïc, les 2/3 des lycées du privé catholique.
Au total, l’intégration du privé à Affelnet a permis d’identifier 316 élèves de collèges publics ayant émis un lycée privé en premier vœu, et de les retirer de la procédure.
745 élèves de collèges privés ont intégré des lycées publics (parmi lesquels 582 en seconde GT et 172 sur cursus spécifiques), soient 167 élèves en moins qu’en 2020. Il est plus difficile de rentrer dans le public en venant d’un collège privé qu’auparavant : le taux de satisfaction a baissé de 3 points (moins d’affectés et moins d’affectés sur les premiers vœux). Aucune ouverture de classe n’est prévue dans le privé.
Evolutions proposées par le rectorat et le comité de suivi
Des modifications de la structure des enseignements sont envisagés par le rectorat dans certains établissements, pour y ajuster l’offre d’enseignements (spécialités, options) et mieux répartir en particulier les filières technologiques, afin que les 20 à 25% d’élèves orientés dans cette voie puissent rester dans leur lycée. Les proviseurs devront mieux se répartir la voie technologique pour garder les élèves au lycée. Il y a beaucoup de filières STMG, avec des problèmes de débouchés, et il est important de mettre en lumière les autres filières de la voie technologique. L’idée est de renforcer la proximité géographique dans les affectations en voie technologique, sans créer de ghetto, ni fragiliser la mixité sociale et scolaire.
Dispositifs envisagés pour mettre en avant les lycées évités
Au niveau académique, c’est sur les lycées évités que les résultats de la réforme sont les moins probants. Pour ces établissements, le nombre d’élèves par classe doit être limité. Une grande attention doit être portée aux besoins de vie scolaire. La carte des moyens en AED et CPE est en cours de révision. La notion de l’IPS pourrait être introduite dans les affectations de moyens en vie scolaire dans les lycées.
A Bergson, il faut mettre en avant l’ouverture de la spécialité cirque (en partenariat avec la DRAC), mais aussi mieux faire connaitre la prépa Sciences Po, et sciences Co (Neurosciences et sciences cognitives, en lien avec l’enseignement). Le lien avec les collèges ayant Bergson en lycée de secteur 1 doit être renforcé, et l’accès selon les spécialités et options doit être facilité.
A Villon, un projet global doit être mis en place pour affirmer l’identité de l’établissement et y améliorer l’attractivité. Des projets existant autour du développement durable et de l’écologie doivent être mieux soutenus et mis en avant par les différents partenaires.
A Rabelais, malgré les travaux, le nombre d’élèves affectés au tour 1 était plus élevé qu’en 2020 et le renforcement de l’offre pédagogique et un retour sur le site du lycée devraient permettre de confirmer cette tendance.
Prise en compte des spécialités et des options et langues
L’organisation des enseignements inter-établissements (EIE) doit être améliorée, notamment en centralisant la gestion des inscriptions au Rectorat, et non plus par les établissements qui peuvent restreindre le nombre de places disponibles.
Les inscriptions en langues par le CNED ne sont prises en charges que lorsque l’élève a moins de 16 ans, dans le cadre de la continuité pédagogique (même s’il s’agit d’une option). C’est la famille qui prend en charge l’inscription au CNED passé 16 ans : le Rectorat peut prendre en charge une partie des élèves si besoin de continuité pédagogique.
Des tensions ont été remontées sur l’offre de Chinois en EIE, mais des places étaient encore disponibles à l’issue des affectations dans de nombreux établissements : Diderot (28), Lemonier (18), Fénelon (11), Fauré (6), Decour (2), Lurçat (2), Paul Valery (12), Simone Weil (20), Turgot (15), mais aussi à Claude Bernard, Monet et Henri IV. En EIE Portugais (en LVC-débutant), des places étaient disponibles à Eiffel, Balzac, Lurçat, Montaigne et Molière.
La FCPE Paris a publié un communiqué de presse le 24 janvier : Pour plus de transparence et d’équité à l’entrée en Seconde à Paris
Le bilan Affelnet du comité de suivi