« Affelnet 6e », « secteurs multi-collèges » : mais de quoi parle-t-on ?
Difficile apparemment de poser sereinement les termes du débat sur la mixité scolaire à Paris !
Après l’affaire du « bug Affelnet » (pour affectation par le Net) en juin dernier au lycée Turgot (où 83% de boursiers ont été affectés en seconde à la rentrée contre 50 % en moyenne les années précédentes) la question de la mixité a fait une rentrée explosive avec la tribune de l’économiste Thomas Piketty publiée le 6 septembre dans le Monde. S’interrogeant sur la question de savoir si « le gouvernement souhaite vraiment promouvoir la mixité sociale », le chercheur utilise le (contre) exemple parisien et dénonce une « ségrégation sociale » qui atteint dans les collèges parisiens « des sommets inacceptables ». Il pointe le fait que certains collèges comptent “plus de 60% d’élèves défavorisés”, quand d’autres en comptent “moins de 1%”. Il rappelle aussi que les établissements privés pratiquent, eux, une exclusion quasi complète des classes défavorisées.
Sortie théâtrale pour le Recteur Weil
Une semaine après cette tribune argumentée — qui nous rappelle combien la question de la mixité sociale et scolaire à Paris est mal posée depuis de trop nombreuses années, comme le dénonce inlassablement la FCPE — un nouveau rebondissement a lieu vendredi 9 septembre avec l’interview du futur ex-Recteur de Paris, François Weil, qui annonce à l’AEF (agence de presse spécialisée) que le rectorat travaille sur « des secteurs multi-collèges » pour la rentrée prochaine et que dès la rentrée 2017 les affectations et demandes de dérogations se feront via un logiciel informatique « Affelnet 6e ».
Annonce d’autant plus surprenante que la Ministre de l’Education vient de se montrer réservée quant à l’usage d’un logiciel pour aplanir les différences sociales entre les différents établissements : « Je ne pense pas qu’un algorithme puisse constituer une baguette magique » (Le Monde, 8 septembre 2016).
Celui qui est alors encore le recteur de Paris (François Weil a depuis été nommé au conseil d’État et remplacé par Gilles Pécout, ancien recteur de Nancy-Metz) prend quand même soin de préciser qu’« il ne sera pas une simple déclinaison d’Affelnet Seconde, car il n’est pas envisageable d’appliquer les mêmes principes à des élèves de 6e, ne serait-ce que dans la prise en compte des temps de transport ». Mais le mal est fait et l’emballement immédiat. Les médias relaient les inquiétudes légitimes des parents qui ne comprennent pas bien en quoi vont consister les critères d’affectation, les périmètres et le calendrier.
La FCPE apprend à cette occasion que le Rectorat va « s’engager dans une phase de dialogue et d’explication à destination de l’ensemble de la communauté scolaire ». Il serait grand temps, en effet !
Les nombreuses alertes de la FCPE
Voilà trois ans que la FCPE Paris réclame au Recteur la tenue du comité de pilotage Affelnet Seconde, sans aucune réponse concrète de l’Académie. Car si Affelnet Seconde a eu des effets bénéfiques (mettre un terme au “marché des élèves” par lequel les proviseurs des lycées se partageaient les dossiers de façon opaque et subjective, contribuer à diversifier le public scolaire dans les établissements parisiens), celui-ci peut et doit encore être amélioré.
Voilà un an que la FCPE Paris demande également d’être associée aux discussions Ville-Académie sur les expérimentations des “secteurs multi-collèges” souhaitées par le Ministère.
Pour rappel, le secteur multi-collèges est une possibilité ouverte par la loi de Refondation de l’école de 2013. Aujourd’hui, la carte scolaire fonctionne ainsi : telle rue ou tel numéro de rue dépendent de tel collège. L’idée du secteur multi-collèges est de dessiner une zone géographique plus large avec plusieurs collèges (deux ou trois) à l’intérieur de la zone pour permettre ensuite au rectorat d’affecter les enfants dans l’un ou l’autre en fonction de l’origine sociale. Pour Julien Grenet, économiste qui a finement analysé la situation parisienne, « le phénomène de ségrégation sociale est lié pour moitié à des inégalités internes aux quartiers. […] Les inégalités s’expriment de manière très fine sur le territoire parisien et la carte scolaire, qui s’appuie exclusivement sur les adresses des élèves, ne parvient pas à les réduire. Pour arriver à une répartition plus homogène des populations, d’un collège à l’autre, il n’y a donc pas besoin de convoyer les enfants d’un bout à l’autre de Paris. Il suffit de faire bouger légèrement les frontières et de prévoir des zones de recrutement plus larges, communes à trois collèges par exemple ».
Parce qu’elle partage les constats renouvelés des chercheurs indépendants sur les limites des mesures actuelles de carte scolaire à Paris, la FCPE n’a eu de cesse de rappeler l’importance d’une vraie méthode pour faire évoluer dans le bon sens les dispositifs.
Au printemps dernier, malgré des pressions du ministère pour lancer l’expérimentation des secteurs multi-collèges dès la rentrée 2016 à Paris, la FCPE apprenait avec soulagement que le projet était abandonné pour cette rentrée : trop compliqué techniquement, trop sensible politiquement. Mais surtout mal préparé.
L’indispensable processus de concertation en amont
La FCPE a de son côté alerté à plusieurs reprises pendant l’année scolaire 2015-2016 les responsables académiques et les élus parisiens sur la nécessité absolue d’œuvrer en toute transparence, avec l’ensemble de la communauté scolaire et dans un calendrier qui soit raisonnable afin de mettre en place un dispositif clair pour tous, conforme aux objectifs de mixité sociale et scolaire, et surtout susceptible de rencontrer l’adhésion des familles parisiennes via un effort de pédagogie en amont pour bien expliquer les buts et les moyens d’y parvenir dans l’intérêt de tous les élèves !
Mais rebelote, la machine semble aujourd’hui s’emballer à nouveau, créant de toute pièce l’urgence de ce nouvel Affelnet 6e qui ne saurait être, tout seul, l’algorithme miracle pour lutter contre les inégalités scolaires qui persistent si fortement à Paris.
A l’évidence, la mixité sociale ne doit pas s’envisager qu’au niveau des établissements, mais aussi à l’intérieur. Bon nombre de collèges et lycées qui affichent une réelle mixité de leurs effectifs persistent à constituer des classes de niveaux qui reviennent à casser cette mixité dans la pratique. Avec des conséquences considérables sur le climat scolaire et la réussite individuelle des collégiens et des lycéens puisque toutes les études récentes montrent combien la ségrégation intra-établissement est fortement perçue, et encore plus mal vécue, par les élèves que la ségrégation inter-établissements.
Mettre cartes sur table !
Pour la FCPE Paris, la seule urgence, c’est de mettre tout le monde autour de la table et de tout mettre sur la table pour chacun des dossiers : Affelnet Seconde, Affelnet 6e ou secteurs multi-collèges. Il faut sans plus attendre réunir enseignants, parents, élus, chercheurs indépendants pour évoquer tous les sujets, même ceux qui fâchent. L’analyse fine des cartes de la difficulté sociale et scolaire, le retour sur les vraies pratiques d’établissement pour la constitution des classes et l’orientation en première après les affectations par le net en seconde, le suivi des nombreuses logiques d’évitement scolaire, les exigences à avoir vis-à-vis de l’enseignement privé sous contrat, le renforcement des dispositifs de discrimination positive pour « donner plus aux établissements qui ont moins », les modalités de prise en compte de la nouvelle évaluation par compétences dans les critères Affelnet, la redéfinition d’accès prioritaires sur des contingents de places, la gestion pédagogique par les enseignants de la mixité au sein des classes…
Pas de doute, sans l’ouverture de vrais « Etats généraux » de la mixité sociale et scolaire à Paris d’ici quelques semaines, les réponses du Ministère ne seront pas à la hauteur de ses annonces.
La FCPE Paris invite tous ses adhérents parisiens interéssés par ces questions à participer aux réunions de la commission thématique AFFELNET & MIXITE. Inscriptions par mail à fcpe75@fcpe75.org