APB : deux rapports sur l’urgence à réformer l’entrée dans le supérieur
Jeudi 19 octobre, deux rapports ont été rendus publics qui invitent à réformer en profondeur l’entrée dans le supérieur. Cela intervient après le fiasco de la session estivale d’APB (Admission Post Bac) qui avait laissé 150 000 bacheliers sans proposition d’affectation pour la rentrée 2017 à l’issue du premier tour. Le premier rapport de Daniel Filâtre est la restitution des travaux de la concertation pour l’accueil et la réussite des étudiants lancée en juillet dernier par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Le second est un rapport thématique de la Cour des comptes intitulé « APB et accès à l’enseignement supérieur : un dispositif contesté à réformer ».
Après 3 mois de concertation, 11 groupes de travail et 55 réunions, la concertation sur l’accueil et la réussite des étudiants lancée par Frédérique Vidal au début de l’été a abouti à une série de 17 propositions concrètes remises à la ministre par Daniel Filâtre, recteur de l’académie de Versailles et rapporteur général. Les nouvelles modalités de réussite dans l’enseignement supérieur devraient être présentées par le gouvernement dans les prochaines semaines.
L’impossible synthèse d’une consultation trop courte ?
Parmi les constats de départ, des phrases-choc qui sont autant de constats depuis longtemps partagés par beaucoup d’acteurs éducatifs : « Actuellement, l’impréparation des jeunes lycéens à leur projet de poursuite d’étude et/ou d’insertion professionnelle est manifeste » ; « A ces difficultés s’ajoutent le caractère inéquitable des processus d’information et d’orientation » ; « Ces inégalités économiques, sociales et culturelles entre les élèves et les familles doivent donc être compensées dans l’accompagnement vers l’information et l’orientation. C’est un devoir de justice ».
Les premières recommandations du rapport sonnent en creux comme une critique en règle de l’orientation au lycée. Dans la proposition 1 (Repenser intégralement le parcours Avenir), pour « favoriser le projet personnel du jeune proposé de la 6e à la terminale : il faut intensifier et consolider le travail de formation et d’accompagnement de chaque élève » et « développer un accompagnement humain élaboré » avec « de nouveaux outils et des ressources et services adaptés ». La proposition 2 (Assurer à chaque lycéen un accompagnement personnalisé et responsable) insiste sur « l’urgence à former les enseignants à l’accompagnement à l’orientation » et le besoin de trouver des enseignants susceptibles d’endosser un nouveau « rôle de “référent orientation” pour certaines filières de formation supérieure ». Le rapport pointe aussi « la nécessité d’une plus forte coopération entre structures et acteurs de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur » et « l’urgence à mettre en œuvre un travail d’information des lycéens plus intense, plus réflexif, plus collectif » (proposition 4).
La proposition 3 qui envisage de « généraliser l’avis du conseil de classe pour toute orientation vers l’enseignement supérieur » suscite déjà de nombreuses réactions, notamment chez les syndicats enseignants. Interrogée par le Café pédagogique, Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes questionne la logique même de ces avis : “Toutes les disciplines sous tension ne sont pas enseignées dans le secondaire. Comment les conseils de classe pourraient-ils émettre un avis ? ».
Dans sa seconde partie, le rapport traite de la question de l’affectation des lycéens. Obnubilés par le tirage au sort, les groupes estiment qu’il faut « prendre en compte le profil de l’élève » avec l’entrée en scène de la question des pré-requis. Sujet qui à l’évidence a divisé les groupes entre partisans du droit à faire les études de son choix et partisans d’une sélection plus marquée à l’aide des pré-requis. Le rapport, lui, ne prend pas parti et envisage – en même temps – quatre modes d’accès au supérieur : le A caractérisé par l’accès libre, le B adjoignant à l’accès libre au supérieur des recommandations, le C qui correspond à la mise en place d’accès sous conditions et le D qui assume la sélection partout.
Sur la question de savoir qui fixerait les pré-requis, là aussi les groupes se sont divisés entre partisans de pré-requis nationaux ou des pré-requis propres à chaque université… Chaque filière saturée a d’ailleurs déjà imaginé les siens, comme par exemple la filière santé avec des pré-requis « dont la connaissance serait vérifiée par la validation d’un MOOC “Préparation à l’entrée dans les études de santé” ».
Le débat a aussi porté sur la refonte de l’offre de formation de l’enseignement supérieur. L’idée est de « réorganiser le cursus de licence » (proposition 9) en introduisant de la « souplesse » (modularisation des cursus, individualisation des parcours, passerelles entre les parcours d’une même licence, entre plusieurs mentions de licence mais aussi entre licence et cursus DUT, voir même cursus BTS ou écoles supérieures, variabilité des parcours sur 2 ou 3 ans, voire 4 ans, cursus renforcés de type bi-licence ou double-licence…). Le modèle préconisé est celui « de formation supérieure en premier cycle plus personnalisé, adapté à une logique de formation tout au de la vie et assurant la fluidité et la réversibilité des trajectoires » avec « une organisation lisible et des parcours plus conformes aux attentes des étudiants, à leurs projets de vie, aux allers et retours emploi-formation, à la mixité des publics en formation initiale et continue, en alternance ou non ». Le rapport suggère aussi de « mettre l’étudiant au cœur de la transformation pédagogique » (proposition 10), voire suggère que cela « pourrait s’inscrire dans un contrat pédagogique établi entre l’étudiant et l’équipe pédagogique, intégrant de manière réflexive et partagée les adaptations du parcours ». Sur toutes ces questions, le rapport lance des pistes mais reste plus flou que sur le lycée… Idem en ce qui concerne la promotion des expérimentations… En effet il est proposé d’ « élaborer un cadre national très explicite et permettant de déroger temporairement aux dispositions du code de l’éducation pour favoriser l’expérimentation » : c’est-à-dire ?
Des propositions concernent enfin les évolutions du dispositif d’aide aux étudiants « au service de l’équité, de l’autonomie et de la réussite », avec notamment la création d’une mission interministérielle, et l’enjeu central d’une réflexion qu’il faudrait enfin vraiment ambitieuse sur l’emploi étudiant !
La Cour des comptes achève l’actuel APB
La page de l’actuel APB semble définitivement tournée. Quelques semaines après les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – qui annonçait le 3 septembre dans le JDD : « La plateforme APB, telle que nous la connaissons, ce sera effectivement terminé l’an prochain. » – la Cour des comptes a publié jeudi 19 octobre un rapport dans lequel elle pointe le caractère insatisfaisant d’APB, cette innovation lancée en 2009 qu’elle juge pourtant utile : « Alors qu’APB ne devrait être qu’une étape formelle dans le parcours du futur étudiant, il est devenu un enjeu, venant s’ajouter aux éventuelles difficultés des bacheliers pour formuler un choix d’orientation ».
Fin août, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait demandé au ministère de l’Education nationale de « cesser de prendre des décisions » sur la base unique de l’algorithme de la plateforme dont elle regrettait le manque de transparence. Ces critiques sont reprises dans l’avis de la Cour de comptes : « Il appartient à l’Etat de mieux fonder l’organisation d’APB en remédiant à ses principales fragilités : assise juridique insuffisante de l’outil et des règles qu’il applique, conditions de gestion du service inadaptées, transparence insuffisante. »
Sur la question de la sélection, la Cour demande des cadres précis : « Les dispositions du code de l’éducation doivent être complétées et clarifiées afin de fixer des critères suffisants pour classer les candidatures aux licences universitaires et éviter notamment le recours au tirage au sort. La pratique de la sélection en licence, qui existe aujourd’hui pour certaines mentions, doit par ailleurs disposer d’un fondement légal ».
Autre réserve de la Cour des comptes sur ce système : l’accompagnement des élèves, étudiants et de leurs familles dans les démarches d’admission post-bac était mal adapté. Elle regrette notamment que les conseillers d’orientation-psychologues « ont vu APB devenir un élément central de leur activité » au détriment d’un accompagnement plus ambitieux des élèves dans leurs choix d’orientation insuffisamment éclairés.
Sur la question de la révision des modalités de l’admission post-bac, qui incluront très probablement la mise en place de pré-requis, la Cour des comptes formule aussi des recommandations. La première consiste à « mettre fin à la proposition unique lors du premier tour d’APB : le candidat recevrait des réponses sur toutes ses candidatures. C’est seulement après en avoir pris connaissance qu’il établirait un classement définitif de ses vœux, l’algorithme d’affectation fonctionnant alors dans un second temps ». L’autre scénario évoqué consisterait à « faire fonctionner APB comme une grande place de marché, avec un algorithme d’affectation au rôle réduit, où les candidats et les établissements seraient simplement tenus par des délais de réponse pour s’assurer que toutes les places vacantes sont remises en jeu régulièrement ».
Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’Innovation, annoncera début novembre 2017 les actions qui seront retenues et mises en œuvre en priorité.
La FCPE mobilisée
La FCPE a participé à la concertation lancée par la ministre de l’enseignement supérieur et de la rechercher (ESR), Frédérique Vidal, pour préparer une réforme du premier cycle de l’enseignement supérieur.
Sur la méthode, la FCPE regrette les concertations n’aient ni permis de débat avec le ministère sur son projet car il n’a pas été présenté, ni permis aux acteurs concernés de discuter d’un projet cohérent, la discussion étant organisée en 11 groupes de travail qui se sont réunis une fois par semaine, sur 5 semaines. De nombreux acteurs étaient présents aux réunions : enseignements du secondaire et du supérieur, chefs d’établissements, présidents d’universités, responsables de toutes les types de formation du supérieur (BTS, IUT, écoles, CPGE…), étudiants, lycéens, conseillers d’orientation, parents d’élèves, représentants du patronat… ce qui a en partie noyé la parole des lycéens et étudiants, qui sont pourtant les premiers concernés. La FCPE déplore aussi que l’instance représentative de l’enseignement supérieur, le CNESER, n’ait pas pu débattre des questions soulevées dans la concertation et qu’il ait été ignoré par la ministre qui a préféré présenter les travaux de la concertation aux journalistes plutôt qu’aux membres représentatifs de l’ESR, avant même la restitution officielle.
La méthode employée par le ministère de l’ESR, qui ne favorise pas le dialogue social, n’a pas empêchée la FCPE de porter ses valeurs et de rappeler ses lignes rouges. Face à une jeunesse désireuse de se former et dans une société en évolution qui nécessite d’être bien outillé (pour la formation tout au long de la vie, pour l’insertion et l’évolution professionnelle, pour jouer son rôle de citoyen…), le gouvernement ne peut pas répondre par l’instauration de pré-requis qui sont en réalité de la sélection déguisée. Chaque jeune devrait pouvoir accéder à la formation de son choix et trouver les moyens au lycée, comme dans l’enseignement supérieur, pour réussir (accompagnement, pratiques pédagogiques diversifiées, droit de changer de parcours…). L’orientation choisie constitue un enjeu central car elle participe à la réussite. Ainsi, vouloir orienter les jeunes de force selon leur prétendu mérite scolaire qui n’est que le reflet d’un système inégalitaire, ne résoudra pas les problématiques rendues visibles avec la crise d’APB. Au contraire, cela va renforcer le déterminisme social et faire peser sur les jeunes l’échec de notre école à les faire tous réussir.
Les difficultés d’accès à la filière de son choix dans l’enseignement supérieur et le fort taux d’échec des étudiants de première année montrent bien la nécessité de faire évoluer ensemble la période du bac-3/bac+3 en articulant le lycée et l’enseignement supérieur. Les parents d’élèves le savent bien : même si le bac reste un sujet de préoccupation, la question majeure au lycée est la poursuite d’études et de la réussite car une partie de ces enjeux se joue à ce moment-là (préparation de l’orientation, acquisition de méthodes de travail, développement de l’autonomie…). Pour autant, très peu de choses sont faites au lycée aujourd’hui pour ouvrir et libérer les perspectives des jeunes car ils sont enfermés dans des filières hermétiques et qu’ils ne sont pas préparés à l’après-bac (insertion professionnelle ou poursuite d’études). C’est là-dessus qu’il faut travailler, ce que la FCPE portera également lors de l’ouverture du chantier sur le bac et sur le lycée. Bien entendu, l’augmentation du nombre de places dans l’enseignement supérieur est aussi incontournable car une part du problème vient d’un manque d’investissement dans l’ESR et ce depuis plusieurs années.