Les propos d’Amélie Oudéa-Castéra, éphémère Ministre de l’Education nationale, auront mis en lumière avec fracas le principal écueil dont souffre l’école publique française : ce cruel manque de moyens dévolus par l’État pour accompagner tous les enfants dans leur éducation et leur émancipation. Ses déclarations ont particulièrement heurté les parents d’élèves du public par le manque d’honnêteté et de considération envers les enseignants de leurs enfants.
Eux qui, grâce à leur investissement quotidien, portent à bout de bras le service public d’éducation sans la reconnaissance qui leur est due.
Si nous, les parents d’élèves de la FCPE Paris, défendons ardemment cette école publique c’est parce qu’elle est garante de l’égalité des chances, qu’elle accueille, sur tous les territoires et sans discrimination, les enfants de tous les milieux socio-économiques, ceux souffrant de problème de santé ou de comportement, celles et ceux en situation de handicap. L’école publique est le creuset de notre société de demain. Nos enfants y apprennent à se connaître et à vivre ensemble. Elle est ce lieu d’émancipation nécessaire pour faire société.
La loi Debré détournée
Même si la loi Debré de 1959 stipule que les établissements privés sous contrat avec l’État exercent eux aussi une mission de service public et s’engagent à appliquer les programmes scolaires et à ne pas discriminer des élèves, aujourd’hui la réalité est tout autre. La publication récente des Indices de Position Sociale (IPS) des établissements scolaires montre que, partout en France, l’école privée concentre une forte majorité d’élèves issus de catégories sociales favorisées. Pour la plupart, ces établissements privés sélectionnent leurs élèves, souvent en brandissant l’excellence de la formation proposée, avec comme garantie des taux de réussite stratosphériques à chaque examen. Or la “réussite” de ces établissements privés réside en grande partie sur l’exclusion d’enfants ne possédant pas le même capital économique et/ou culturel. Ainsi, l’enseignement privé nourrit l’entre-soi et ne participe pas à la mixité sociale et scolaire. Face à ce constat connu de tous, les propositions politiques pour y remédier existent mais sont systématiquement balayées d’un revers de main.
Une république fracturée
Michel Leclerc dépeignait avec humour cette situation dans son film « La lutte des classes » en 2018 : nombre d’écoles et de collèges publics peinent à préserver en leur sein la mixité scolaire et sociale, tant l’évitement des familles de classes moyennes et supérieures au profit du privé est facile, fréquent, et normalisé. Les propos de Madame Oudéa-Castéra confortent cette normalisation.
De nombreuses études, ainsi que le rapport de la Cour des Comptes de juin 2023, montrent que les établissements privés contribuent massivement à la ségrégation scolaire et sociale qui fracture notre pays. Le fossé entre public et privé ne cesse de se creuser, et la ghettoïsation de nombre d’établissements publics s’accentue sur l’ensemble du territoire. Les pouvoirs publics doivent réagir pour freiner, à défaut de stopper, l’accentuation de la rupture d’égalité et du séparatisme qui en découle, qui contredisent les principes fondamentaux de notre République. Une des missions du ministère de l’Éducation nationale est de garantir l’accès de chaque enfant aux savoirs. Force est de constater, et Amélie Oudéa-Castéra le rappelait lors de sa prise de parole, cet accès aux savoirs n’est plus garanti : les non-remplacements des personnels dans le public sont monnaie courante, et privent ainsi les élèves de millions d’heures d’enseignement, d’accompagnement personnalisé, d’aide aux élèves en situation de handicap…
Nous réclamons des moyens pour l’école publique
Les gouvernements successifs grèvent régulièrement le budget dévolu à l’enseignement, sous couvert de baisses d’effectifs scolaires. A Paris, le nombre d’élèves diminue depuis plusieurs années : ainsi, ce sont environ 2700 enfants en moins scolarisés dans les écoles publiques parisiennes entre 2022 et 2023, et près de 1500 au collège et au lycée. Des classes et des écoles publiques ferment, des postes d’enseignants sont supprimés, alors que le choix de classes avec moins d’élèves pourrait être fait, comme c’est le cas dans de nombreux pays de l’OCDE. En parallèle à ces choix politiques, la principale problématique demeure : les absences d’enseignants et autres personnels scolaires ne sont pas suppléées, que ce soit sur une courte ou plus longue durée. Cette situation ne saurait s’améliorer alors qu’il devient de plus en plus difficile de recruter des enseignants, tant l’attractivité du métier est en berne.
A l’inverse, la baisse des effectifs scolaires parisiens affecte peu les établissements privés, qui ne sont pas soumis à la sectorisation, et peuvent inscrire comme élève dans leurs établissements des enfants venant de toute l’académie de Paris mais aussi de l’ensemble de la région Ile de France, contrairement aux établissements publics. Désormais, à Paris, ce sont près de 36% des collégiens et lycéens qui sont scolarisés dans le privé, et bientôt un quart des élèves de maternelle et élémentaire. Cela interroge sur la prise en compte de la mixité scolaire et sociale des établissements privés parisiens.
Les capacités d’accueil du privé dépendent pour partie du financement public. En effet, si l’école privée se revendique « libre », elle n’en reste pas moins subventionnée à plus de 70% par l’État, comme le soulignait le récent rapport de la Cour des comptes. Ces dotations au privé restent stables, alors que les effectifs parisiens diminuent globalement. Celles-ci permettent aux établissements privés de proposer aux familles des tarifs relativement avantageux, non représentatifs du réel coût de l’enseignement. Avec de tels jeux de financement, l’État organise et nourrit sa propre concurrence, sans toutefois imposer de contrôle ni de contrepartie aux acteurs de l’enseignement privé pour le recrutement de leurs élèves.
Une école publique de qualité : une responsabilité de l’État
Certes, la loi Debré est contraignante mais, contrairement aux discours de nombreux politiques et responsables de l’Éducation nationale, elle n’empêche pas de contrôler les conditions de déploiement de l’enseignement privé. Avec une réelle volonté politique, en se basant sur le cadre législatif actuel, de nombreuses actions pourraient être menées, afin de combler ce fossé entre écoles publiques et privées qui détériore la mixité sociale et scolaire à Paris, et la cohésion de notre société.
Afin de défendre le service public d’éducation, et contrer une concurrence déloyale qui ne respecte plus les principes de la loi Debré, nous, parents de la FCPE Paris, demandons l’annulation de toutes les suppressions de postes d’enseignants du public, à Paris comme ailleurs, et la reconstitution de brigades de remplacement en nombre suffisant pour assurer la présence d’un enseignant devant chaque élève.
Nous demandons que les ouvertures ou fermetures de classes du privé soient suivies par les Rectorats, établissement par établissement, à l’instar de ce qui est réalisé pour les écoles publiques. De même, les critères de recrutement des élèves des établissements privés doivent respecter les objectifs de mixité sociale et scolaire, et la carte scolaire, comme elle est imposée aux établissements scolaires publics.
Toutes les études montrent que notre système éducatif est un des plus inégalitaire parmi les pays de l’OCDE. Pourtant, à niveau socio-culturel équivalent, les élèves du public réussissent mieux leur scolarité que ceux du privé. Il est temps de questionner la place de l’École dans notre République, un lieu d’ascension social rêvé et pensé par les Républicains depuis la Révolution. Il est du devoir du ministère l’Éducation nationale de garantir, pour tous les enfants de la République, une école publique de qualité, sur l’ensemble du territoire, avec du personnel en nombre suffisant, avec des classes équilibrées, mixtes, composées d’effectifs réduits.
Sans action politique ambitieuse, certains territoires finiront par se ghettoïser sur fond de séparatisme scolaire et social, et nourrir davantage la fracture sociale qui scinde la société française dans son ensemble. Ce choix politique est un investissement impératif pour construire la société française de demain.