CONTINUITE PEDAGOGIQUE : QU’EN PENSENT LES ENSEIGNANTS ?
Dans la bouche du Ministre de l’Education Nationale, le passage de l’école en présentiel à l’école à distance semble une évidence. La plateforme du Cned est là ! Il n’y a plus qu’à… Et pour les enfants et les familles qui n’ont pas accès au numérique, pas de souci puisque, le Ministre a rappelé le «devoir» du gouvernement «à ne laisser aucun enfant sur le bord de chemin.».
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour se rendre compte que, malgré les efforts qui se déploient quotidiennement dans beaucoup d’établissements scolaires, la promesse de la continuité pédagogique ne pouvait exister de manière homogène sur tout le territoire. Qui aurait pu exiger le contraire d’ailleurs ?
Voici deux communications des représentants de syndicats enseignants majoritaires du 1er degré et du 2nd degré qui nous font entrer dans la réalité du métier d’enseignant, dans sa diversité et sa complexité aussi. Ces communications nous rappellent aussi, si nécessaire, notre attachement au maintien des services publics partout.
COMMUNICATION DU SNUIPP (syndicat des ENSEIGNANTS du premier degre)
13 mars 2020
Alors que toutes les écoles de France seront fermées dès lundi, les enseignantes et les enseignants répondent présent pour accompagner au mieux les élèves et leurs parents dans les semaines qui viennent. Ils sauront aussi, en temps utile, rappeler au gouvernement l’importance des services publics, notamment en situation de crise.
Le chef de l’État, a annoncé la fermeture des écoles partout en France à partir de lundi jusqu’à nouvel ordre, et au moins pour quinze jours selon le ministre de la santé. C’est une bonne décision et elle met fin à une période de mesures disparates sur le territoire. Dans le même temps il a loué dans son discours le système de santé français et affirmé l’importance de son système de protection sociale. Le SNUipp-FSU ne peut qu’y souscrire et saura lui rappeler quand il s’agira de le défendre et de le renforcer.
Les personnels mobilisés
L’école publique aura bien sûr à cœur d’accompagner au mieux ses élèves et les familles qui vont, pour certaines, être en difficulté, voire très en difficulté dans cette période. Mais on ne pourra nier les obstacles auxquels va être confrontée la profession pour assurer ce suivi (fracture numérique pour certaines familles, impréparation, manque de formation…) loin du discours angélique du ministre de l’éducation. Et cela ne pourra sur le long terme que renforcer la détermination à lutter contre les inégalités sociales de destin scolaire.
Quoi qu’il en soit, les enseignantes et les enseignants de l’école publique répondront présent pour être à la hauteur de cette crise totalement inédite et prendront la part qui leur revient dans la solidarité nationale. Pour autant, nul ne pourrait faire croire qu’une complète continuité éducative et scolaire pourrait être assurée en dehors de l’école.
Avec professionnalisme, sens des responsabilités, souci des élèves et du maintien du lien avec les famille, les équipes s’organisent déjà dans les écoles, comme elles le peuvent en fonction des réalités et des possibilités locales, pour fournir des activités et des conseils aux parents : permanence dans les écoles, pages Facebook spécifiques de ressources, prêt de manuels, listes d’activités. Sans faire croire que chacun pourrait faire l’école à la maison mais avec la volonté d’aider celles et ceux qui le souhaitent, ou qui ont besoin d’être accompagnés à trouver des pistes d’activités réalisables.
Elles seront d’autant plus à même d’élaborer des activités scolaires adaptées que les écoles ne subiront pas d’injonctions contradictoires et que la confiance dans les équipes sera réelle, en commençant par leur donner le temps de s’organiser collégialement lundi. Confiance aux équipes et cohérence dans la communication institutionnelle, c’est d’ailleurs ce qu’a réclamé le SNUipp-FSU, reçu rue de Grenelle ce vendredi 13 mars.
Réaffirmer le service public
Cette crise est aussi l’occasion de rappeler l’importance de notre service public d’éducation et d’une manière générale de l’ensemble des services publics dans leur rôle d’amortisseur des crises qu’elles soient économiques, écologiques ou sanitaires. L’occasion de réaffirmer qu’ils sont, non pas un coût pour la société, mais un investissement et un outil permanent de solidarité.
https://www.snuipp.fr/actualites/posts/l-ecole-et-ses-personnels-seront-a-la-hauteur
CommuniCATION du SNES (syndicats des enseignants du second degré)
A partir du lundi 16 mars, il nous est demandé d’assurer la continuité pédagogique à distance. Au delà de la panne massive des ENT ce 16 mars, qui montre bien la fragilité des réseaux face aux connexions en masse, adapter son enseignement (cöté professeurs) et ses apprentissages (côté élèves) ne saurait se faire d’un claquement de doigt et de la mantra du ” tout est prêt”.
On ne peut exclure qu’il sera peut-être nécessaire d’expliquer à certains parents et à notre hiérarchie des réalités de notre métier. Le ministre qui dit que nous sommes prêts. Pas nous. Que les parents ne s’attendent pas à recevoir l’équivalent de plusieurs heures de cours dès lundi et tous les jours. Nous, les enseignants, avons des défis à relever à l’abri de pressions contre-productives.
Pour la plupart d’entre nous, les contenus de nos enseignements, sous formes diverses, diaporamas, traces écrites, fiches etc… ne sont pas diffusables aux élèves en l’état. De simplement copier-coller n’est pas envisageable. Pour beaucoup, nous avons une bonne partie de notre travail à refaire, si ce n’est pas tout. Mettons de côté l’aspect technique de la fiabilité et de la maîtrise des outils numériques, même si elle est souvent primordiale, pour évoquer des défis qui se poseront du fait de ne plus être devant nos élèves, et qui se poseraient même si nous utilisions une correspondance papier.
Bien sûr, adapter ou élaborer nos productions prendront un temps et une énergie variables selon les disciplines, l’expérience professionnelle, le matériel disponible et utilisé, les manières personnelles de travailler… nous n’écrivons une vérité absolue, mais un constat issu d’expériences partagées par beaucoup. L’objet de ce constat est de permettre de mettre des mots, collectivement, sur les difficultés que nous pourrons rencontrer afin de prévenir, espérons, d’éventuelles tensions.
Par exemple, nos traces écrites sont-elles exploitables sans les explications qui les accompagnent ? Il est fréquent, qu’une trace écrite de trois lignes soit la conclusion d’un travail en classe d’une vingtaine de minutes à partir de supports et d’activités variées. Et que déconnectée de ce travail, elle n’ait pas de sens.
La question du temps de travail exigible des élèves se pose également. Est-il réaliste d’imaginer des élèves travailler seuls 6h par jour ? Est-il réaliste d’imaginer des parents obtenir que leurs enfants travaillent 6h par jour ? Pour des élèves ayant des facilités avec les apprentissages, 3h parait optimiste. L’âge et le profil des élèves sont des facteurs importants. Se pose les questions de la persévérance, de l’effort, de l’autodiscipline, de l’autonomie… Sans oublier les conditions et l’ambiance de travail dont ils pourront disposer chez eux (disponibilité de terminaux fonctionnels, de moyens d’impressions, d’une pièce calme). Dans une classe, nous nous appuyons sur des élèves moteurs, qui se « relaient » d’une activité à une autre, d’un cours à l’autre. On sait bien que le travail dans une classe avec peu d’élèves moteurs est plus difficile. Ils participent à entraîner les autres dans les activités.
Un autre défi sera de concevoir des activités/contenus permettant l’apprentissage le plus autonome possible pour les élèves. Pour faire simple, comment parvenir à ce qu’il n’y ait pas, ou le moins possible d’obstacles, qui empêchent les élèves d’aller au bout d’une lecture ou d’un exercice ? Ces obstacles ne sont pas toujours faciles à anticiper. C’est souvent dans la classe que nous les percevons de part les retours que les élèves nous donnent : un mot de vocabulaire qui gêne, une ponctuation négligée par l’élève et qui indique le sens… Et une part des obstacles, en classe, sont sans rapport avec le travail produit : fatigue de l’élève, distraction causée par une préoccupation extérieure, lacunes particulières… Mesurons le travail que nous faisons tous les jours sur les seules lecture et compréhension de consignes en vue justement d’autonomiser les élèves, le dilemme que nous affrontons souvent entre débloquer un élève et prendre le temps de le laisser chercher…
Au final, la continuité pédagogique ne s’improvise pas, elle s’apparente plutôt à de la gestion de la discontinuité. Nous, personnels de l’éducation, feront au mieux de nos possibilités matérielles et pédagogiques, mais nous appelons le ministère à la modestie : rien n’est prêt dans l’instant, prenons le temps de bien faire.
https://www.snes.edu/Continuite-pedagogique.html