Enfants précoces : compétences et difficultés
Le 10 avril 2018 se tenait à la Sorbonne un colloque international sur les Enfants Intellectuellement Précoce (EIP), conjointement organisé par le CNAHP (centre national d’aide aux enfants à Haut potentiel), l’université Paris Descartes et l’Académie de Paris, sous le haut patronage du Ministère de l’Éducation Nationale, avec de nombreux intervenants français et étrangers, et l’ANPEIP.
Anne Gateau et Cécile Remy-Boutang, administratrices de la FCPE Paris, y ont assisté et vous relatent ici les nombreuses questions qui ont rythmé cette journée dans un amphi magnifique et archi bondé. L’objectif ? Vous exposer les réponses données avec parcimonie concernant la scolarité des enfants intellectuellement précoces (EIP) qui se passe bien pour la majorité d’entre eux mais qui pour 1/3 d’entre eux rime avec échec scolaire.
Qu’est ce qu’un EIP ?
Les EIP ou précoces ou « surdoués » représentent 2 à 3 % de la population scolaire, on les retrouve dans toutes les catégories sociales, autant de filles que de garçons. A noter que le potentiel des filles passe plus souvent inaperçu. Elles sont moins nombreuses à passer les tests et à être détectées.
Il n’y a pas un seul type d’EIP mais bien plusieurs. Le diagnostic se fait lors de test de QI (QI sup ou égal à 130), mais la définition ne se résume pas à un chiffre car l’enfant précoce ou « doué » (gifted dans la littérature anglaise) est bien une façon différente « d’être au monde » toujours associée à une hyper sensibilité.
Ils ont des profils variés et singuliers mais présentent des constantes repérables ; savoir repérer ces constantes permet d’améliorer la prise en charge de ces élèves. L’information sur la précocité intellectuelle – ses signes identifiables et les réponses à apporter – nécessite la mobilisation de toute la communauté scolaire et des familles.
Mythes et réalités des enfants à Haut potentiel
Le mythe principal consiste à penser que scolairement il est indubitablement premier en classe. Paradoxalement un tiers des EIP sont en échec scolaire ou en « sous-réalisation ». En effet les problèmes scolaires et socio-émotionnels en lien avec leur haut potentiel intellectuel (notamment troubles anxieux, 47% des enfants touchés par la dépression sont des EIP) doivent être pris en compte.
Les EIP n’ont pas tous forcement des « hauts résultats » scolaires.
D’autre part, un certain d’entre eux présentent des troubles associés : les troubles DYS, trouble TDAH, trouble du sommeil, trouble oppositionnels avec Provocation (TOP). Attention si tous les EIP ne présentent pas de trouble, à l’inverse tous les enfants porteurs de troubles ne sont pas des EIP.
L’Education nationale et les aménagements pour les EIP
La question centrale est ici celle du rôle des enseignants et de l’EN et des aménagements pédagogiques nécessaires. C’est d’ailleurs le cœur de l’ouverture de la journée faite par Gilles Pécout, recteur de la région académique IDF, puis de l’intervention de Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire du ministère de l’Education nationale, qui clôture le colloque en réaffirmant la volonté de l’engagement ministériel pour une prise en charge des élèves à besoins éducatifs particulier.
“Le code de l’Éducation, qui exige la mise en place d’aménagements appropriés pour tout élève à besoin éducatif particulier, nous engage”, dit-il en guise de conclusion.
Qu’en est-il vraiment à Paris pour les EIP ?
Un organisme référent dans la capitale a été créé en septembre 2017, il s’agit de la cellule académique pour la scolarisation des Élèves Intellectuellement Précoces (EIP). Elle intervient sous l’autorité de la DASEN chargée des lycées et de la liaison avec l’enseignement supérieur, est coordonnée et animée par un référent académique, et constituée d’une équipe inter catégorielle de professionnels de l’éducation et de la santé.
Statistiquement, tous les enseignants ont au moins un enfant intellectuellement précoce dans leur classe. Cela peut être l’enfant qui pose « trop de questions » en interrompant le cours ou au contraire celui qui est trop effacé. La cellule EIP 75 propose une mise à disposition d’outils destinés en particulier aux enseignants pour aider au repérage afin d’orienter les familles. (Voir les liens vers les sites de l’académie ci-dessous.)
L’inclusion est la règle pour tous les enfants à besoin éducatifs particuliers, les EIP ne dérogent pas à cela. Mais selon Catherine Mercier-Benhamou, DASEN, le chemin est encore long à parcourir même si elle note qu’à chaque nouvelle circulaire, le professionnalisme dans la prise en charge de ces élèves a augmenté.
Enfin la cellule EIP 75 propose un certain nombre d’informations et ressources et permet également d’accompagner à la mise en place d’une pédagogie adaptée (voir ci-dessous l’exemple du lycée Janson de Sailly).
Actuellement, il existe à Paris deux collèges prenant en charge les EIP avec difficulté scolaire et risque de décrochage : Georges Brassens (XIXème) et Janson de Sailly (XVIème).
Le dispositif de scolarisation des enfants intellectuellement précoces concerne les enfants repérés à l’école élémentaire ou dans les premières années de collège comme enfants précoces présentant des signes de difficultés d’adaptation : phobies scolaires, difficultés d’intégration, troubles de l’apprentissage associé à un potentiel intellectuel élevé.
Principalement, ces classes proposent de pédagogie différenciée et/ ou décloisonnement.
Il ne s’agit pas d’accélération de cursus mais d’assurer la réussite scolaire de ces élèves à potentiel intellectuel élevé en leur apportant un accompagnement adapté, en reprenant les apprentissages qui n’ont pas été acquis et en répondant au désir de savoir afin d’éviter l’ennui et le « décrochage ».
Et au lycée ? Au lycée Janson de Sailly il n’y a pas de classe particulière mais un accompagnement particulier pour les lycéens EIP, une source d’inspiration pour d’autres établissements !
Le proviseur Patrick Sorin rappelle que les éléments mis en place dans son établissement sont transposables à tous les lycées. La cellule académique, indique Mme Catherine Mercier-Benhamou, peut accompagner les établissements désireux de s’inscrire dans cet accompagnement particulier des EIP.
Voici les grands axes qui sont mis en place à Janson de Sailly :
- Le rôle du personnel de direction est prépondérant, cette volonté est affichée et votée en CA. C’est dans le projet d’établissement.
- Volonté élargie à tous les intervenants pédagogiques (enseignants, CPE) : cela détermine un regard bienveillant et accueillant. Souhait collectif d’une démarche inclusive.
- Importance des professeurs ressources (référents) : il n’y a pas de professeur à profil simplement des enseignants volontaires car sensibles au sujet. Il s’agit d’une « mission particulière » rémunérée par une indemnité prévue dans ce cadre.
- Les quelques pistes d’aménagements évoqués pour les EIP pour les enseignants : aller vers plus de travail en autonomie, travailler sur la coopération, l’entraide, ne pas reprendre ces élèves sur le soin, sur l’écriture, décloisonner (un élève peut suivre des cours dans la classe supérieure pour une matière), être plus dans l’explicite (les EIP sont souvent démunis face aux demandes implicites), approfondir plutôt que répéter, et enfin – mais cela est valable pour tous les élèves en général – « faire l’éloge de la différence » !
- Lors des conseils de classe, cette situation particulière est prise en compte pour les élèves en devenir, et les résultats scolaires sont décryptées à la lumière de leur particularité.
Assis aux côtés de la FCPE, des enseignants de Louis Le Grand, fortement intéressés par cette possibilité pour leur établissement, semblaient déterminés à mettre en place cette démarche pédagogique dès la rentrée 2018 dans leur établissement…
Focus sur « les » intelligences…
L’idée est admise qu’il n’y a pas qu’une forme d’intelligence. Reste à savoir quelles capacités elle recouvre. L’Américain Gardner répertoriait en 1983 huit intelligences (linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle – ou spirituelle). D’autres chercheurs vont élargir le concept, parlant d’intelligence sociale, émotionnelle, pratique… Mais paradoxalement, pendant longtemps, ces recherches ne vont déboucher sur aucun test véritablement nouveau. On continue de mesurer l’intelligence de type académique, celle qui fait appel aux opérations logico-mathématiques, car c’est celle qui est la plus adaptée à la réussite scolaire. N’oublions pas qu’en France, le premier test de Binet-Simon avait été mis au point à la demande de l’État, pour détecter les élèves scolairement faibles. Cette orientation va durablement marquer de son empreinte l’histoire de l’examen psychométrique. La difficulté de bâtir des épreuves fiables est aussi un défi. Du coup aujourd’hui, l’examen le plus pratiqué reste le Wisc (Wechsler Intelligence Scale for children), mis au point en 1949, qui donne lieu à l’établissement d’un quotient intellectuel.
Depuis peu pourtant, les choses commencent à bouger avec la prise compte d’une approche plus analytique de l’intelligence. Les tests anciens évoluent avec de nouvelles versions du Wisc qui évalue désormais le profil de réussite dans quatre sous-tests : compréhension verbale, mémoire de travail, raisonnement perceptif et vitesse de traitement. La mémoire de travail, système de gestion de l’attention, apparaît aujourd’hui comme l’une des composantes essentielles de l’intelligence. Et parallèlement, des chercheurs travaillent à la mise au point de tests véritablement originaux. Certains, s’appuyant sur les travaux de Piaget, portent davantage sur les opérations intellectuelles. C’est le cas de l’UDN ou utilisation du nombre, examen proposé aux enfants ayant des difficultés dans l’apprentissage des mathématiques ou pour évaluer les capacités restantes après une lésion. D’autres s’intéressent à la créativité. Todd Lubart (Laboratoire de cognition et développement, Institut de psychologie, Paris V) propose une batterie d’épreuves pour évaluer la créativité, définie comme « la capacité à inventer des idées originales et adaptées au contexte ». Depuis l’Antiquité la créativité est notre moteur. Ce sera la compétence du 21e siècle. Alors que les performances créatives prennent une place toujours plus importante dans la vie professionnelle, peu d’outils existent actuellement pour les évaluer. Il est acquis que les capacités créatives peuvent être développées dès le plus jeune âge, et il est donc important de pouvoir les évaluer par un outil adapté, intégrant les dernières découvertes, afin d’orienter ce développement. Ce test permet ainsi d’identifier les domaines où la créativité de l’enfant testé s’exerce le mieux, facilitant le développement, la valorisation de ses capacités (pour les enfants en échec scolaire, par exemple).
Ce qui manque encore actuellement, ce sont des tests montrant quelle procédure de pensée l’enfant utilise pour résoudre une tâche. A-t-il une stratégie globale ? Analytique ? Synthétique ? Le savoir nous permettrait sans doute de proposer de nouvelles réponses à l’échec scolaire. Dans ce domaine aussi, des chercheurs ont commencé à plancher. Pas de doute, le monde des tests est en train de changer.
Le cerveau est à la fois universel et individuel. Tout enfant est éducable. L’intelligence c’est apprendre à résister à l’automatisation. Toutes les IRM fonctionnelles réalisées avec des enfants nous montre que lorsque l’enfant « automatise » ce sont les zones « archaïques » du cerveau qui fonctionnent : pariétale et sous corticale (l’hippocampe et l’amygdale). Il s’agit pour l’enfant d’apprendre à connaitre comment son cerveau fonctionne. Et ne pas se mettre en mode « automatisme ». « Découvre l’extraordinaire machine que tu as dans la tête : ton cerveau. Qu’est-ce qu’un neurone ? A quoi sert le cerveau ? Comment voit-on dans la tête ? Qu’est-ce que les neurosciences ? Le cerveau peut-il faire des erreurs ? Les animaux ont-ils tous un cerveau ? Le cerveau rêve-t-il ? Qu’est-ce que l’intelligence ? https://www.decitre.fr/livres/mon-cerveau-9782092576809.html
Focus sur le saut de classe…
Selon les nombreuses études évoquées par les chercheurs du CNAHP, l’accélération de la scolarité semble aujourd’hui une solution satisfaisante si elle est faite dans de bonnes conditions et souhaitées par l’enfant. A noter qu’aujourd’hui il y a en moyenne 60 fois moins de sauts de classe qu’il y a 40 ans. Les textes réglementaires prévoient et encadrent les accélérations de scolarité.
En conclusion, « Faire l’éloge de la différence », accompagner les élèves grâce à une pédagogie différenciée, ne pas déterminer un parcours scolaire en fonction des seules notes, permettre l’inclusion de tous les élèves, gérer des classes dans leur hétérogénéité, proposer la réussite pour tous, limiter l’ennui et le décrochage scolaire : on en rêve tous pour tous les enfants ! Nous nous réjouissons que les élèves à besoins éducatifs particuliers soient compris dans leur différence et surtout bien entendus.
Documentations et liens utiles
- Mode d’emploi spécial enseignant édité par l’ANPEIP :
http://www.anpeip.org/enseignants
- Article sur le colloque :
- Présentation de la cellule académique :
- Les outils et ressources :
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_1607801/ressources-et-outils?cid=p1_1607557
- Elèves HP en difficultés scolaires :
Quelques textes réglementaires
- Circulaire n°2009-168 du 12 novembre 2009 : élèves intellectuellement précoces : guide d’aide à la conception de modules de formation pour une prise en compte des élèves intellectuellement précoces.
- Circulaire n°2007-158 du 17 octobre 2007 : parcours scolaire des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières à l’école ou au collège.
- Article L321-4 du code de l’éducation.