Homophobie : la jeunesse en première ligne

En France, le contexte social évolue vers une plus grande égalité des droits pour tou·te·s, quelle que soit l’orientation sexuelle. Mais ces avancées sont plus que jamais contrariées par la persistance de réactions violentes et discriminatoires à l’encontre des homosexuel·le·s. Cette homophobie qui frappe chaque jour dans Paris a aussi de graves conséquences sur la santé psychosociale et sexuelle des jeunes. Autant de raisons de se mobiliser pour condamner toute forme d’homophobie et réclamer l’éducation inclusive et la santé des jeunes LGBTI.
L’indignation collective face aux récentes agressions homophobes qui ont eu lieu à Paris nous oblige à regarder la réalité en face, à prendre toutes nos responsabilité de parents autant que de citoyens. Nos enfants sont spectateurs ou victimes de ces discriminations, à nous de les sensibiliser ou de les protéger. Mais pour mieux combattre l’inacceptable, il faut déjà savoir de quoi on parle (1).
Homophobie aux mille visages
Suivant une acception très large, l’homophobie peut se définir comme le rejet des personnes homosexuelles ou considérées comme telles et de ce qui leur est associé. La gayphobie, la lesbophobie, la biphobie et la transphobie en sont des formes plus spécifiques. L’homophobie résulte d’un système de représentations de la société qui hiérarchise les genres et les orientations sexuelles, c’est-à-dire où le masculin est considéré comme supérieur au féminin (sexisme) et l’hétérosexualité comme supérieure à l’homosexualité (hétérosexisme). Lorsque cet ordre social est perçu comme naturel et établi, l’homophobie tombe comme une sanction pour tout individu considéré comme transgressant ces normes. Ainsi, toute personne qui est identifiée comme homosexuelle ou soupçonnée de l’être et/ou toute personne dont le genre n’est pas conforme aux attentes pourra être victime d’homophobie.
Il est difficile d’obtenir des données fiables concernant les jeunes et l’homosexualité, car la jeunesse – surtout l’adolescence – représente bien souvent une période d’incertitude et de flottement, y compris du point de vue de l’orientation sexuelle, et l’affirmation de soi en tant qu’homo ou bisexuel·le dans les enquêtes est délicate pour des jeunes qui, tout en pouvant éprouver des attirances pour des individus du même sexe, n’ont encore jamais eu de relations homosexuelles. Ces jeunes constituent une population particulièrement vulnérable lorsqu’ils/elles se découvrent « différents » et doivent, dans un environnement plus ou moins hostile, tenter de se construire une identité positive avec cette « différence ».
Mal-être, isolement, anxiété, sursuicidalité
Qu’elle s’exprime de façon physique, verbale, morale ou symbolique, et qu’elle soit subie de façon directe ou indirecte, l’homophobie amène bien souvent chez les jeunes qui en sont victimes une réelle souffrance avec parfois un sentiment de culpabilité et de honte. Ces ressentis sont amplifiés lors de la prise de conscience d’une orientation sexuelle et/ou d’une identité de genre différente de celle de la majorité – en général pendant l’adolescence – et peuvent conduire à l’installation d’une identité négative. Ceci peut se manifester par une perte d’estime de soi, une dévalorisation, voire un rejet de soi-même et des autres homosexuel·le·s (ou identifié·e·s comme tel·le·s). On pourra alors parler d’« homophobie intériorisée ». Le·la jeune en questionnement ou homosexuel·le en vient parfois consécutivement à se replier sur lui·elle-même, à s’isoler et à se retrouver en situation de rupture de lien avec ceux qui l’entourent (sa famille, ses pairs), ce qui va fréquemment de pair avec des situations d’échec scolaire et de précarisation sociale.
L’homophobie vécue au quotidien par les jeunes (insultes, racket, agressions, mise à l’écart…) et intériorisée – ou les situations d’homophobie redoutées – peuvent également se traduire par d’autres symptômes spécifiques comme l’anxiété, le stress, des épisodes dépressifs, des idéations suicidaires (voire des passages à l’acte), un usage important de produits psychoactifs ou encore des prises de risque sexuel.
Mais rappelons-le avec force — contre toutes les disqualifications homophobes venues de ces bonnes âmes qui voudraient « sauver » nos enfants de « douloureusess déviances » : c’est « l’homophobie et non l’orientation sexuelle par elle-même qui est le principal facteur qui peut induire un sur-risque de crise suicidaire et de tentative de suicide » (2).
Santé sexuelle : les risques de l’invisibilisation
L’entrée des jeunes homosexuel·le·s dans la sexualité se fait dans un contexte général d’invisibilisation de l’homosexualité et de présomption d’hétérosexualité qui ne leur permet pas de parler facilement de leur vie affective et sexuelle, que ce soit avec leur famille, les professeurs et adultes encadrants ou même leur groupe de pairs. La plupart de ces jeunes vivent la découverte de leur orientation sexuelle ou la questionnent en étant privés de cadre bienveillant pour dialoguer et de modèles identificatoires permettant d’appréhender les modes de vie et de rencontres homosexuels. Le problème c’est qu’alors les mécanismes de protection imaginaires et symboliques et les fausses croyances en matière de prévention jouent à plein comme des facteurs de vulnérabilité spécifiques des jeunes homosexuels.
Parmi les questions cruciales que se posent les jeunes au moment d’une consultation médicale figurent celles-ci : dois-je dire ou non à ce professionnel de santé que je ne suis pas hétérosexuel·le ? Et dois-je parler de mes pratiques ou comportements sexuels alors qu’ils pourraient dévoiler mon orientation sexuelle ? En effet, rien n’oblige qui que ce soit à aborder la question de son orientation sexuelle, mais dans le cadre de certains suivis de santé cela peut être important. Or la question du « dire » ou « ne pas dire » dépend étroitement de la confiance établie avec les représentants du corps médical qui, dans sa grande majorité, part en général du principe que la personne reçue est hétérosexuelle. Une inquiétude liée à la confidentialité peut vraiment émerger pour les jeunes qui sont uniquement en relation avec le médecin de famille et craignent un éventuel dévoilement à leur entourage. Lorsque la démarche consultative est embrayée et le jeune patient décidé à parler de son orientation ou de ses pratiques sexuelles, les difficultés auxquelles il peut être confronté sont multiples, à commencer par des cas de refus de soins ou de différence de traitement. Beaucoup de jeunes filles entendent encore : « vous n’avez pas de rapport sexuel avec des hommes, donc vous n’avez pas besoin de frottis vaginal ». Dans certains cas, la méconnaissance et les préjugés des professionnels sur les modes de vie des personnes homosexuelles constituent un frein aux échanges et à un suivi ciblé et régulier (absence d’incitation au suivi proctologique pour les gays, par exemple), et renforcent évidemment leur peur d’être jugées.
Pour ne pas avoir à affronter des situations de malaise ou de discrimination, certains jeunes vont développer différentes stratégies d’évitement : renoncement aux soins, recours à l’automédication ou recherche de diagnostics sur Internet, peu sûrs.
Une plus grande attention et une ouverture à la diversité des sexualités dès l’adolescence de la part des professionnels de santé leur permettraient de mieux évaluer les différents aspects de la santé sexuelle des jeunes (la vaccination contre les hépatites A et B, la mise en place de dépistage régulier pour le VIH et les autres IST, les comportements de prévention, le vécu des relations affectives et sexuelles…), et la nécessité de certains examens (suivi proctologique, check-up sexuels, frottis…).
L’engagement sans faille des associations LGTBI (3) pour accueillir la parole des jeunes, les informer et les accompagner ne saurait toutefois se substituer à la nécessaire prise de responsabilité des pouvoirs publics et des professionnels de santé dans la mise en œuvre des politiques de prévention et de soins.
Notre responsabilité, en tant que parents FCPE, c’est d’exiger une formation et une sensibilisation en profondeur de tous les professionnels en contact avec la jeunesse (personnels de santé, travailleurs sociaux, enseignants et éducateurs). Des outils sont déjà disponibles, trop inégalement et surtout insuffisamment mobilisés, qui pourraient les aider à acquérir cette posture bienveillante, à repérer et à déconstruire l’homophobie, y compris la leur. Comme c’est aussi le cas pour nous parents.
Education inclusive et santé pour la jeunesse LGBTI
En juillet dernier, une grande enquête s’est achevée, lancée par l’association MAG Jeunes LGBT en partenariat avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) afin de sonder et comprendre les jeunes personnes LGBT+ sur leur santé et expérience scolaire (4).
Les résultats ont été présentés à la Conférence mondiale de la Coalition pour l’égalité des droits (ERC) qui s’est tenue en août 2018 à Vancouver, au Canada. Objectif : savoir comment les gouvernements peuvent s’assurer que l’éducation des personnes LGBTI soit inclusive.
Et la recommandation est claire : « Les écoles et les environnements d’apprentissage devraient être sûrs, inclusifs et accueillants pour tous, quelles que soient l’orientation sexuelle et l’identité et l’expression de genre ». « Cela suppose d’intégrer l’égalité et l’inclusion dans toutes les matières, et de fournir une éducation complète à la sexualité comprenant des contenus sur l’orientation sexuelle et l’identité et l’expression de genre, d’une manière adaptée à l’âge ».
Des objectifs en forme d’urgence face à des résultats d’enquête sans appel. En effet parmi les répondants, neuf sur dix ont indiqué avoir le sentiment que les jeunes LGBTI n’étaient « jamais » ou « presque jamais » pris en considération par les autorités de leurs pays. Plus de quatre sur cinq ont indiqué que leurs besoins en tant que personnes LGBTI n’étaient jamais ou presque jamais pris en compte dans les programmes scolaires ou les matériels d’apprentissage, et parmi ceux qui s’étaient adressés à un service médical, seulement un quart s’étaient sentis en sécurité et bien accueillis. Un tiers des jeunes LGBTI disent qu’ils ne se sentent pas en sécurité à l’école ? Nous devons ramener ce chiffre à zéro.
(1) L’impact de l’homophobie sur la santé des jeunes homosexuel·le·s, Coraline Delebarre et Clotilde Genon, Cahiers de l’action 2013/3 (N° 40)
(2) Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie à l’université Claude Bernard de Lyon, « Suicide et tentative de suicide : états des lieux en France », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, nos 47-48, 13 décembre 2011.
(3) Ce sigle désigne les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes.
(4) https://fr.unesco.org/news/systemes-educatifs-sont-ils-inclusifs-communaute-lgbti-unesco-s-associe-organisation-jeunesse et https://fr.unesco.org/news/unesco-se-joint-aux-defenseurs-education-inclusive-lgbti-lors-conference-equal-rights-coalition
Voir aussi sur le site du ministère « Agir à l’école contre l’homophobie : leviers et ressources utiles » : http://eduscol.education.fr/cid113565/agir-a-l-ecole-contre-l-homophobie-autres-leviers-et-ressources-utiles.html
Dimanche 21 octobre à Paris place de la République, mobilisation contre la multiplication des actes homophobes, lesbophobes, biphobes et transphobes
Depuis plusieurs semaines, presque quotidiennement, des agressions lesbophobes, gayphobes, biphobes ou transphobes se succèdent sur l’ensemble du territoire. Dégradations, insultes, agressions physiques, elles sont relayées par les victimes elles-même, sur les réseaux sociaux ou dans les médias.
Pour soutenir les victimes et exiger des pouvoirs publics des mesures concrètes contre les LGBTphobies et en faveur de l’égalité des droits, des associations appellent à une mobilisation massive dimanche 21 octobre à 17 heures, Place de la République à Paris.