La scolarisation des enfants polyhandicapés
Le 5 décembre 2017 se tenait à Paris une journée d’études organisée par le CESAP Documentation, Formation, Ressources (Comité d’Etudes, d’Education et de Soins auprès des Personnes Polyhandicapées) sur « La scolarisation des enfants polyhandicapés ». Ayant eu la chance de pouvoir y assister, je vous fais partager quelques réflexions de parent d’élève militant en faveur d’une école véritablement inclusive.
Quelques rappels sur le polyhandicap
Selon le décret de 2017, le polyhandicap se définit comme une « Situation de vie spécifique d’une personne présentant un dysfonctionnement cérébral, précoce ou survenu en cours de développement ayant pour conséquence de graves perturbations à expressions multiples et évolutives de l’efficience motrice, perceptive, cognitive et de la construction des relations avec l’environnement physique et humain » (1). Ainsi, les enfants polyhandicapés présentent des difficultés multiples qui influent sur leur développement. Ce sont des enfants particulièrement dépendants qui n’ont pas (ou peu) de langage oral, et qui connaissent souvent des troubles médicaux variés et plus ou moins envahissants. Il y a un siècle, les médecins les qualifiaient d’« arriérés profonds » : ils étaient classés parmi les enfants « inéducables ».
Cependant, depuis les années 60, on a constaté qu’aucun enfant, même le plus entravé dans son développement, n’est incapable d’apprentissages. Toutefois, plus le handicap est important, plus c’est à l’environnement de s’adapter à l’enfant, afin de lui permettre de progresser.
Les engagements de la France
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (2006), ratifiée par la France en 2010, reconnaît « le droit des personnes handicapées à l’éducation (…) sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances ».
La loi du 8 juillet 2013 sur l’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (art L 111-1) « reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser » et proclame « l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ».
L’existence de ces textes constitue un grand pas en avant car ils admettent l’éducabilité des personnes polyhandicapées, mais leurs besoins spécifiques ne sont pas encore pris en compte.
Si aujourd’hui l’école a l’obligation d’inscrire tous les enfants, elle n’a aucune obligation à les accueillir au quotidien – et, de fait, elle n’en a pas toujours les moyens. Or scolariser des enfants polyhandicapés nécessite non seulement des moyens humains, mais aussi des locaux et des outils pédagogiques adaptés. Cela nécessite également une formation adaptée des enseignants. Enfin, parce que l’enfant polyhandicapé présente des troubles multiples et qu’il est difficile à comprendre, il impose une volonté et des moyens de communication entre enseignants, parents et avec tous les intervenants qui gravitent autour de lui (médecins, rééducateurs).
Ainsi, ce n’est pas à l’enfant d’être « inclus » dans le système scolaire, mais à l’école d’être inclusive et de s’adapter aux besoins spécifiques des enfants.
Ce qui existe
Aujourd’hui, sur le temps scolaire, les enfants polyhandicapés vont dans des structures spécialisées (IME : Institut Médico-Educatif) où ils sont accueillis dans des petits groupes encadrés par des éducateurs spécialisés et des aides médico-psychologiques. Sur le même lieu sont regroupés les soins qui leur sont nécessaires (kinésithérapie, psychomotricité, ergothérapie, orthophonie…) et des activités à but pédagogique.
Dans certains IME se sont créées des unités d’enseignement (UE) dans lesquelles des enseignants spécialisés (dépendant de l’Education Nationale) font la classe, dans des locaux adaptés, sur des temps adaptés, aux enfants qui peuvent y accéder.
Les enseignants spécialisés ayant fait l’expérience de ces dispositifs témoignent des progrès que les enfants polyhandicapés peuvent faire, sous réserve de veiller à adapter les conditions d’apprentissage.
Il faut bien sûr que l’instituteur fasse un choix dans les objectifs d’apprentissage (programme de cycle 1, niveau maternelle), accueille les enfants en tout petits groupes (pas plus de 6) et dans un cadre ritualisé (afin que les enfants trouvent des repères rassurants). Une installation adaptée de chaque élève est indispensable afin que leur corps ne soit pas inconfortable ou douloureux, et que l’enfant puisse mobiliser toute son attention sur les apprentissages. Enfin, il convient de tenir compte des difficultés spécifiques des élèves (p. ex. capacités mnésiques limitées, fatigabilité, motricité entravée…) et individualiser les apprentissages.
Finalement, on observe un grand plaisir de ces enfants à venir en classe, ce qui surprend le plus souvent les enseignants. Pour les parents – mais aussi la fratrie –avoir en fin d’année un bulletin scolaire attribué à leur enfant leur permet de sortir d’un fréquent vécu d’exclusion, et de percevoir chez leur enfant les compétences acquises et pas seulement les déficiences. Pour l’enfant lui-même, cela constitue une grande fierté et un moteur pour de nouveaux apprentissages.
Des pistes pour l’avenir
Les unités d’enseignement sont un modèle à développer au sein des établissements spécialisés. Toutefois, la mise en place de ces classes se heurte la plupart du temps à un manque de moyens et à des résistances de la part des professionnels. Il est en effet difficile de faire communiquer les discours des enseignants de l’Education Nationale avec ceux des soignants du médico-social. Il conviendrait donc de développer les liens entre soignants et enseignants, en intégrant au maximum les parents dans ces réunions, afin de faire évoluer les représentations de chacun et mieux se coordonner autour des enfants en difficulté.
Du côté de la formation des professeurs des écoles, il existe à présent un module sur le handicap et l’éducation inclusive, mais encore trop peu de réflexion sur la communication avec les familles et les soignants. En Belgique, un nouveau métier est apparu, celui des orthopédagogues, qui travaillent plus particulièrement sur les meilleures conditions pour que l’enfant puisse recevoir au mieux les apprentissages. Il n’y a pas encore de formation de ce type en France.
Une solution pour une réelle école inclusive serait d’externaliser les UE dans les écoles. Pour cela, il faudrait déjà une politique volontaire allouant les moyens nécessaires pour créer des UE dans tous les IME. Dans l’Education Nationale, il faudrait généraliser la présence d’infirmières dans toutes les écoles accueillant des enfants handicapés. Enfin, du côté de la Sécurité Sociale, il faudrait faire évoluer les conditions de financement des transports (actuellement les transports pris en charge ne se font qu’entre le domicile et les lieux de soins).
Ces UE intégrées dans les écoles permettraient, tout en adaptant les conditions d’apprentissage aux besoins de chacun, de diminuer les clivages et d’augmenter les brassages dès le plus jeune âge. On peut alors espérer que cette mixité contribuera à une meilleure connaissance du polyhandicap par tous, et donc à une société plus ouverte et tolérante aux spécificités de chacun.
Elodie GABRIEL
Présidente du CL Mouffetard-Epée de Bois
Trésorière de l’UL 5-6
En savoir plus sur le CESAP, Comité d’études d’éducation et de soins auprès des personnes polyhandicapées : www.cesap.asso.fr
(1) Définition complète selon le décret N° 2017-982 du 9 mai 2017 : “Situation de vie spécifique d’une personne présentant un dysfonctionnement cérébral, précoce ou survenu en cours de développement ayant pour conséquence de graves perturbations à expressions multiples et évolutives de l’efficience motrice, perceptive, cognitive et de la construction des relations avec l’environnement physique et humain. Il s’agit là d’une situation évolutive d’extrême vulnérabilité physique, psychique et sociale au cours de laquelle certaines de ces personnes peuvent présenter de manière transitoire ou durable des signes de la série autistique. La situation complexe de la personne polyhandicapée nécessite, pour son éducation et la mise en œuvre de son projet de vie, le recours à des techniques spécialisées pour le suivi médical, l’apprentissage des moyens de relation et de communication, le développement des capacités d’éveil sensori-moteur et intellectuelles, l’ensemble concourant à l’exercice d’autonomies optimales.”