Le Pro, parlons-en !
Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) vient de publier en juin 2016 un rapport intitulé « De vraies solutions pour améliorer l’orientation, les formations et l’insertion des jeunes de l’enseignement professionnel ». Partant de constats douloureux sur la situation actuelle du pro, l’instance indépendante propose des pistes pour carrément “changer de paradigme”. Petit tour d’horizon de ces paroles d’experts sur un sujet qui mobilise sans relâche la FCPE Paris.
La réalité du pro aujourd’hui
Le diagnostic du Cnesco, cinglant, est posé dans la première page : « Si, dans les établissements, les équipes pédagogiques œuvrent au quotidien, sans relâche, pour former des jeunes en grande difficulté, si les entreprises leur ouvrent leurs portes, les politiques scolaires n’ont pas été à la hauteur des enjeux de cet enseignement, à la croisée de l’éducation, du marché du travail, de l’économie et du social. Il en résulte, aujourd’hui, un enseignement professionnel éclaté, entre, d’un côté, quelques réussites ponctuelles qui associent des formations de qualité et une insertion rapide, et de l’autre, de graves dysfonctionnements qui affectent les destins des jeunes parmi les plus fragiles de notre pays ». Le Cnesco rappelle que l’insertion des jeunes issus de l’enseignement professionnel n’est pas assurée dans tous les secteurs. Sept mois après l’obtention d’un diplôme sous statut scolaire, 57 % des titulaires d’un CAP et 46 % des bacheliers professionnels sont au chômage (DEPP, 2014).
Il pointe une concentration des difficultés dans certaines spécialités : « les spécialités tertiaires, dont les effectifs sont les plus importants, sont celles qui présentent les plus mauvais taux d’insertion sur le marché du travail (environ 30 % de chômage, trois ans après le diplôme). (…) Ces spécialités accueillent, en outre, un public spécifique, où sont surreprésentés les filles, les enfants issus de catégories sociales défavorisées et de l’immigration. Par ailleurs, le coût unitaire par lycéen est largement plus faible que dans les filières industrielles ».
Il dénonce une forte pénurie d’enseignants formés : depuis la « mastérisation », le nombre de candidats aux concours de professeur de lycée professionnel a été divisé par deux. En 2015, dans les disciplines professionnelles, seuls 72 % des postes enseignants ouverts à candidature ont été pourvus (moins que les disciplines scientifiques).
Le Cnesco observe, au-delà des résultats scolaires, de fortes inégalités sociales et une faible mixité de genre ; des obstacles à la poursuite d’études et une orientation non valorisée par les familles.
Le constat est celui d’un enseignement professionnel à deux vitesses. La réforme du baccalauréat professionnel en 2009, qui a réduit le cursus à 3 ans, semble avoir légèrement amélioré son image. Mais cette revalorisation, et la suppression des BEP qui l’a accompagnée, s’est construite au détriment des diplômés de CAP dont les difficultés d’insertion se sont nettement accrues depuis l’aggravation de la crise économique.
Pour le Cnesco, la gouvernance de l’enseignement professionnel n’apparaît pas toujours en adéquation avec la réactivité nécessaire face aux mutations, désormais rapides, du marché du travail.
Si la majorité des diplômes ont été rénovés récemment, une vingtaine de baccalauréats professionnels n’ont pas été revus depuis plus de 6 ans. Les trop nombreux diplômes (environ 200 CAP et 100 baccalauréats professionnels) conduisent à des processus trop lourds de rénovation et à une offre peu lisible pour les familles.
Et si la réforme du baccalauréat professionnel a permis de le revaloriser et de développer l’accès des bacheliers professionnels au BTS, des efforts restent à faire dans l’accompagnement des élèves vers la poursuite d’études supérieures.
Des annonces récentes pour la rentrée 2016
Des mesures concernant l’enseignement professionnel sont prévues pour la rentrée 2016 :
– L’amélioration de la transition entre la classe de troisième et le lycée professionnel. Des conventions de jumelage devront être établies entre le collège, d’une part, et lycées professionnels et CFA, d’autre part ;
– L’amélioration de l’accueil des élèves à leur entrée dans la voie professionnelle. Une période spécifique d’accueil et d’intégration sera organisée en début d’année scolaire par les équipes pédagogiques ;
– La possibilité de revenir sur les choix d’orientation. Une période de consolidation de l’orientation sera créée, dès la rentrée 2016, pour tous les élèves qui entrent en seconde professionnelle et en première année de CAP ;
– La préparation des périodes de formation en milieu professionnel. Afin d’accorder à la première période de formation en milieu professionnel l’attention qu’elle mérite et de favoriser son bon déroulement, une préparation à l’arrivée en milieu professionnel devra être élaborée par l’équipe pédagogique dès la rentrée 2016 ;
– L’allègement de la pression certificative sur l’année de seconde pour consacrer plus de temps aux apprentissages.
D’autres mesures ont été annoncées en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, notamment via la signature d’une plateforme État-Régions (rémunération et droits des apprentis, aide à la recherche d’un premier emploi, quotas de places en STS, information des familles, développement de logiques de réseaux).
Pour le Cnesco, toutes ces annonces très récentes pourraient offrir des perspectives encourageantes si elles sont mises en œuvre. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs reprises dans les préconisations du Cnesco, pour y être précisées car « elles apparaissent encore trop parcellaires au regard des enjeux de l’enseignement professionnel, en termes éducatifs et économiques ».
Des mesures à prévoir en urgence, puis à moyen et à long terme
Dans l’immédiat il s’agit de garantir une orientation informée des élèves en améliorant la lisibilité de l’offre de formation par une réflexion sur les intitulés des diplômes professionnels, en travaillant sur les niveaux de langage pour les rendre plus facilement compréhensibles par les jeunes et leurs familles. Il faut aussi développer et renforcer la diffusion aux élèves et à leurs familles d’informations quantitatives et qualitatives, précises et fiables, sur le contenu des formations et l’insertion des diplômés de l’enseignement professionnel par domaine de formation au niveau national et régional (professions réellement exercées, conditions d’emploi), ou dans des aires géographiques pertinentes.
Le Cnesco préconise d’abandonner les choix précoces d’orientation et donc de suspendre les classes de 3e préparatoires à l’enseignement professionnel, institutionnalisées dans le cadre de la réforme du collège, même si dans le cas présent, elles proposent le même programme de formation que les classes de 3e ordinaires. Pour le Cnesco il faudrait leur substituer des dispositifs offrant un accompagnement pédagogique renforcé aux élèves en difficulté, répartis sur plusieurs classes, implantées exclusivement dans des collèges car « les recherches ont montré que ces classes d’orientation précoce, fortement ségréguées et stigmatisantes, nuisent aux apprentissages des élèves en difficulté et renforcent les inégalités sociales à un âge où les projets professionnels ne sont pas encore construits ».
Un autre défi urgent est de développer l’attractivité du métier d’enseignant en lycée professionnel en révisant les critères de recrutement et de diplomation des enseignants de l’enseignement professionnel.
Le Cnesco propose aussi de faire passer tous les profs par le pro ! Il propose en effet d’étendre le principe d’un stage en lycée professionnel pour les stagiaires dans les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) au-delà des professeurs stagiaires du second degré technologique et professionnel.
Il convient enfin de favoriser la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur en développant d’abord un suivi pédagogique adapté et personnalisé pour accompagner la politique de quotas de bacheliers professionnels dans l’enseignement technique et professionnel court, afin d’éviter les abandons. L’iée est aussi d’expérimenter et d’évaluer les projets destinés à favoriser la poursuite d’études des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur, pour identifier les facteurs de réussite et généraliser les expériences qui fonctionnent.
D’autres mesures sont préconisées à moyen et long termes pour :
– dynamiser l’offre de formation nationale et régionale
– accompagner les élèves et leurs familles dans les choix d’orientation pour que la voie du pro ne soit plus une orientation « par défaut »
– changer les représentations de l’enseignement professionnel dès le collège en cherchant à valoriser les métiers d’avenir, le continuum secondaire/supérieur et la formation tout au long de la vie, par des campagnes d’information ciblées sur l’excellence des filières qui permettent de s’insérer facilement sur le marché du travail
– favoriser des modalités d’apprentissage exigeantes et innovantes (avec mobilité internationale, acquisitions de compétences sociales et comportementales directement connectés aux apprentissages en situation de travail).
– mixer les publics dans des lycées polyvalents (c’est-à-dire réinventer et généraliser des lycées polyvalents où peut se construire une réelle culture de la mixité sociale entre tous les lycéens via la mutualisation d’espaces de vie communs, d’équipements nécessaires à l’enseignement de certaines disciplines, comme les sciences, via la création de modules d’enseignement réunissant les lycéens des trois voies d’enseignement, co-animés par les enseignants des différentes voies ou spécialités, en sus des programmes scolaires de chaque voie, autour des disciplines ou des projets suivants : langues vivantes, EPS, éducation à la citoyenneté et projets solidaires…). Le Cnesco insiste pour ouvrir le chantier sur les districts d’affectation dans les lycées et la mixité sociale (compétence partagée Recteur-Région depuis la loi NOTRe du 7 août 2015), en lien avec les politiques d’internat et de transport scolaire (compétence des Régions en 2017).
– favoriser l’insertion et relations avec les entreprises dans les contextes locaux
– valoriser les ressources humaines dans l’enseignement professionnel
– rendre réelles les chances de réussite lors d’une poursuite d’études dans l’enseignement supérieur.
Le modèle suédois ou le modèle allemand ?
Toutes les actions à long terme préconisées ont pour seul et ambitieux but de mettre en place « un nouveau paradigme pour l’enseignement professionnel ». Vaste défi qui consuit le Cnesco a considérer qu’au-delà des préconisations et premières mesures, « le pays doit entamer un débat national pour échanger sur un nouveau modèle d’enseignement professionnel ».
Le Cnesco suggère que deux scénarios sont possibles sur l’avenir de l’enseignement professionnel en France, mais encore faut-il ouvrir le débat…
Le scénario 1 consisterait à aller vers un système « à la suédoise » qui rapproche les voies professionnelle et technologique, et donc renforce les compétences générales et transversales de la voie professionnelle sous statut scolaire pour en faire une voie ouvrant réellement sur l’enseignement supérieur à partir d’un socle de connaissances et de compétences renforcé. Dans cette perspective, il faudrait qu’à l’issue de la scolarité obligatoire, ce (nouveau) socle soit effectif et fonctionne comme un ensemble de pré requis nécessaires à l’entrée dans les voies professionnelle et technologique comme dans la voie générale, ce qui signifierait qu’en cas d’absence de tel ou tel pré-requis, il reviendrait à l’enseignement professionnel de remédier, a priori rapidement, aux déficits repérés selon un programme de mise à niveau explicite.
Vont dans ce sens les mesures suivantes : un domaine de spécialité véritablement choisi, une seconde commune, un accompagnement personnalisé renforcé, une diminution des effectifs des filières engorgées, assez peu demandées et peu insérantes.
Un engagement vers cette nouvelle configuration signifierait qu’en amont fonctionnerait pleinement un collège menant tous les élèves à la maîtrise d’un socle ambitieux, ce qui n’est pas encore le cas. À court terme, cela impliquerait donc le maintien d’un enseignement professionnel tourné vers l’insertion, privilégiant l’apprentissage – y compris dans les lycées professionnels, généraux et technologiques, eux-mêmes rapprochés – et avec une qualité rehaussée afin d’éviter toute dimension « parking ». À ce titre, la formation des jeunes préparant un CAP serait réalisée le plus systématiquement possible en apprentissage, au moins la deuxième année, la première année pouvant se dérouler en lycée professionnel afin d’assurer les nécessaires mises à niveau.
Le scénario 2 consisterait à évoluer vers un système « à l’allemande » ou « à la suisse ». Ce scénario place en priorité le renforcement significatif de l’engagement des employeurs à l’élaboration des référentiels, au premier chef, en matière de formation dans l’entreprise, ainsi que la régulation des places de formation, en s’appuyant sur des réseaux d’entreprises. Dans cette optique, maintenir de nombreuses places de formation alors qu’elles ne débouchent pas ou trop peu sur l’emploi ne serait plus possible.
Pour le Cnesco, ce débat national national sur le pro « devra mobiliser très largement l’ensemble des acteurs concernés, bien au-delà du secteur éducatif. (…) Pour que notre pays se donne les moyens de redynamiser son économie avec des ressources humaines qualifiées à tous les niveaux de responsabilité tout en construisant une cohésion nationale, la formation professionnelle devra, dans les années futures, être au cœur des préoccupations de politiques qui, dans une vision holistique et complexe, doivent dépasser les seuls enjeux du système éducatif ».
Lire l’ensemble des préconisations du Cnesco sur le pro…
Le pro, un dossier majeur pour la FCPE Paris…
Retrouver la motion FCPE Paris adoptée lors de son congrès 2015 intitulée « Pour mieux (re)connaître l’enseignement professionnel ».
Si en tant qu’adhérent.e FCPE, vous êtes intéressé.e par cette question de l’enseignement pro, vous pouvez nous contacter (fcpe75@fcpe75.org) pour participer à nos réunions thématiques sur cette question.
Consulter le numéro spécial de Liaisons Laïques, revue de la FCPE Paris (n°316, juillet-août 2015) sur « Les atouts du pro ».