L’école, lieu de tous les possibles

Le film « Primaire » d’Hélène Angel sort en DVD VOD et téléchargement définitif le 9 mai 2017. Un subtil mélange de souffle romanesque et de regard social sur l’école, à voir et revoir sans modération.
Dans « Primaire », Florence, jouée par Sara Forestier, est une professeure des écoles dévouée à ses élèves. Quand elle rencontre le petit Sacha, un enfant en difficulté, elle va tout faire pour le sauver, quitte à délaisser sa vie de mère, de femme et même remettre en cause sa vocation. Florence va réaliser peu à peu qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre. « Le point de départ du film », dit Hélène Angel, « ça a été l’émotion que j’ai ressenti quand mon fils a quitté son école en fin de CM2. Moi je pleurai », dit-elle, « parce que c’était la fin de l’enfance et lui était excité par la vie qui s’ouvrait devant lui. »
La réalisatrice a passé deux ans dans des classes, pour être juste dans ce qu’elle écrivait sur le métier de professeur des écoles, et pour comprendre de l’intérieur la vie de la classe. Et ainsi elle a pu dans le film dégager les enjeux et les contradictions. Aujourd’hui un enseignant a quelque chose d’héroïque. Sacha, l’élève en difficulté, pose un cas moral. Prévenir ou pas les services sociaux? Chacun y répond à sa façon dans le film. En enquêtant, dit la réalisatrice, je découvrais autant de réactions que d’enseignants. Certains directeurs, comme Monsieur Sabatier, auraient confié un temps Sacha à son ex-beau- père. D’autres auraient aussitôt appelé les autorités. C’est cette zone floue et incertaine, profondément humaine, qui nous a intéressés à l’écriture : les instituteurs ne sont pas des représentants de la loi, ni des assistants sociaux, ils font avec ce qu’ils sont. Le film fonctionne sur des choses très évidentes, initiatiques : le rituel de l’entrée en 6e, le spectacle de fin d’année… tout en laissant éclater le trop plein de vie des enfants dans l’école. Le personnage de Florence se débrouille comme elle peut à l’intérieur du système parce qu’elle croit en l’école de la République, laïque, gratuite et obligatoire.
« Devoir tout mener de front – travail et vie privée – comme le fait Florence, c’est très féminin et contemporain. Montrer une femme qui pense son travail, qui y réfléchit mais qui a plus de mal avec les questions maternelles et amoureuses, ça m’amuse davantage que de montrer l’inverse », souligne la réalisatrice, et elle ajoute : « J’ai réalisé à quel point l’école marque nos vies ».
Sara Forestier est fantastique de justesse dans le rôle de Florence : « Je suis allée dans des classes de CM2, dit-elle, j’ai rencontré des maîtresses. Leur lien avec les enfants est incroyable, et j’ai constaté à quel point la personnalité de chaque maîtresse influe sur sa classe. Nous avons tous eu, enfants, notre instit’ préféré, celui ou celle qui nous a fait confiance et nous a fait décoller. Moi-même, j’en ai eu au primaire, des enseignants qui m’ont fait aimer l’école, et m’ont aidée à me construire en tant qu’individu. Dans le monologue final du film, mon personnage dit que l’école lui a fait découvrir « les possibilités infinies de l’esprit ». Je le pense aussi, sincèrement. Pour jouer cette institutrice, j’ai aussi fait confiance à ma complicité naturelle avec les enfants ». « Je suis fier de faire partie de ce film, » dit Vincent Elbaz, « j’aime son souffle romanesque autant que son regard social. Dès l’ouverture, la séquence entre Sara et la petite élève qui ne sait pas lire me touche tellement… » Vincent Elbaz a cette bienveillance naturelle parfaite pour le rôle de Mathieu, le père déjanté : c’est un personnage bancal, qui ne se sent pas d’être un « père », mais au fond c’est le seul vrai « témoin secourable » pour Sacha.
Dans le film, des détails précis recoupent nos souvenirs de parents d’élèves : le père qui n’est pas le père déboule dans l’école et se conduit comme s’il était chez lui, impoli et conquérant ; l’enfant que l’on ne vient pas chercher à la fin de l’étude ; les bagarres entre élèves ; le lapin des CP qui disparaît après un traitement radical ; les parents qui compensent avec le fric le manque d’affection ; l’élève en difficulté qui réussira quand même à apprendre à lire; la préparation et la fête de fin d’année ; le signalement d’un élève ; un directeur paternaliste ; des maîtresses qui en ont un peu ras-le-bol, après quelques années d’enseignement dans des conditions de plus en plus difficiles… Tout ça, ça existe dans les écoles. Cette école, celle du film, située géographiquement dans la région de Grenoble est particulière mais elle vit, toujours étonnante et passionnante, par- fois surprenante.
Chronique cinéma publiée initialement dans notre magazine Liaisons Laïques n°321 de novembre 2016