L’éducation « en marche », mais dans quel sens ?
Jean-Michel Blanquer vient d’être nommé ministre de l’Education nationale. Portrait de celui qui rêvait depuis longtemps de prendre les commandes de la Rue de Grenelle et dont on peut déjà annoncer quelques priorités, pas forcément rassurantes pour la FCPE Paris.
En janvier 2017, dans une interview accordée à l’Express, Jean-Michel Blanquer, alors directeur de l’ESSEC donnait sa vision de et pour l’école. Ce proche d’Alain Juppé connaît très bien les rouages de l’Education nationale puisqu’il a été il a été professeur d’université, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, recteur de l’académie de Guyane puis de Créteil, et enfin directeur général de l’enseignement scolaire pendant les années Sarkozy (celles des 80 000 suppressions de postes).
En octobre 2016, Jean-Michel Blanquer a publié un ouvrage intitulé L’École de demain. Propositions pour une Éducation nationale rénovée (Odile Jacob) où il dessine « ce que pourrait être une école où l’excellence et le mérite seraient au service du progrès social ».
Des mots d’ordre
Des récentes prises de positions du nouveau ministre de l’Education nommé ce 17 mai, se dégagent déjà au moins quatre mots d’ordre à tiroirs : responsabilisation, innovation, expérimentation et autonomie. Pour lui, « le système doit absolument évoluer et, en même temps, il est fatigué par les réformes successives et les politiques de stop-and-go qu’il a subies. Il faudra donc mettre en place une méthodologie de la réforme qui ne le harasse pas, ne passe pas forcément par la loi ou par un “grand soir”, mais qui s’inscrive dans la durée ».
Dans une logique toujours très pragmatique, « l’homme du pilotage par la sciences et les résultats » considère qu’il faut déjà prendre le mal à la racine et « s’attaquer aux facteurs les plus importants, notamment à ce qui se passe à l’école avant l’âge de 7 ans ». Avec quelques accents déterministes — « pour 95% des enfants, on peut prévoir en fin de grande section ce qu’il va leur advenir à la fin du CM2 » — le professionnel de l’éducation pose l’ambition qui devra désormais être celle de l’institution : « la réussite de tous les élèves dans leur domaine d’excellence. Il s’agit de tirer l’ensemble du système vers le haut, en reconnaissant la diversité des talents et des parcours sur la base de savoirs fondamentaux bien ancrés chez tous les élèves ».
Au cœur de sa méthode ? La « responsabilisation » de tous les acteurs de l’institution : professeurs, parents, élèves, chefs d’établissement. Tous ceux qui ne seraient pas sentis pleinement “responsables” ces dernières années apprécieront la mise en garde…
A moyens constants
La question des moyens pour l’Education nationale pourrait aussi ne pas en être une. Jean-Michel Blanquer expliquait en janvier dernier à l’Express que « les dépenses de la France en matière scolaire sont dans la moyenne des pays de l’OCDE. Compte tenu de la situation de nos finances publiques, je ne pense pas qu’il soit nécessaire et possible de dépenser plus. En revanche, il est possible de répartir mieux et différemment les moyens ».
Pour lui, la création des 60000 postes sous le quinquennat Hollande aurait même été une “erreur”, estimant que « dans l’ensemble, la création de postes pose plus de problèmes qu’elle n’en résout ».
Ce postulat de départ — une logique de redéploiement et non d’investissement — ne peut manquer d’inquiéter très fortement notre fédération de parents d’élèves qui se bat depuis des années pour que soient mêlés efficacement les considérants qualitatifs et quantitatifs au cœur de la Refondation de l’Ecole.
La FCPE Paris espère que le nouveau ministre — responsable à son tour — s’attaquera à prolonger les efforts en matière de budget de l’éducation et qu’il ouvrira de nouveaux chantiers plutôt que de défaire ce qui a été fait, a fortiori sans évaluation préalable et concertée. Toute réforme en matière d’éducation a besoin de temps long et de consensus.
Un catalogue de dossiers sensibles
Les sujets sensibles ne vont pas manquer dans les semaines et mois qui viennent. Côté enseignants, la (brûlante) question sera celle de l’augmentation de leur rémunération sous condition de présence accrue dans les établissements. Le nouveau ministre n’est pas non plus opposé à l’idée de proposer aux nouveaux professeurs des contrats de travail de droit privé même si ce n’est pas la priorité.
Autre sujet majeur qui était d’ailleurs une priorité pour le candidat et nouveau président Macron : l’autonomie des établissements. M. Blanquer n’y voit pas une source d’aggravation potentielle des inégalités et la convoque même comme la clef pour résoudre le problème de la fuite vers le privé !
Il déclarait en effet en janvier dernier : « le système est déjà profondément inégalitaire : il n’y a qu’à voir la fuite des élèves vers le secteur privé et les stratégies d’évitement [de la carte scolaire] mises en place par les parents. Pour inverser les choses, l’idée est d’avoir un volume horaire garanti à l’échelle nationale en français et en mathématiques et fonctionner ensuite en laissant une autonomie accrue aux équipes pédagogiques pour fixer elles-mêmes la dotation horaire pour les autres matières et mettre en place un vrai projet d’établissement ». Une liberté qui pourra aller jusqu’au recrutement des professeurs comme le proposait Emmanuel Macron dans sa campagne. « L’idéal à terme est que le chef d’établissement recrute lui-même ses professeurs certifiés sur la base du projet qu’il souhaite mener. Cela signifie aussi que les ressources humaines doivent être gérées à l’échelle locale, aux antipodes de la gestion “par ordinateur” d’aujourd’hui ». Les ordinateurs ne tourneront donc plus qu’à Bercy pour réduire les dépenses ?
A ce stade, la FCPE Paris ne peut que rappeler l’impérieuse nécessité non seulement du maintien mais aussi de l’amélioration d’un véritable service public d’éducation « nationale » sur tout le territoire de nature à faire réussir l’ensemble des élèves, à assurer leur bien être scolaire et leur pleine émancipation.
Question de méthode
De nouvelles méthodes de « management » de l’éducation prioritaire, entre expérimentation et contractualisation, devraient aussi être expérimentées, dont les contours sont encore bien nébuleux.
Le bac enfin sera un des autres chantiers du quinquennat qui s’ouvre. L’idée générale ? L’épreuve finale ne concernerait que quatre matières, dont le français et les mathématiques ; et toutes les autres feraient l’objet d’un contrôle continu. A suivre…
Plus globalement et sur tous les sujets, pour la FCPE le défi est aussi simple que l’enjeu est immense : il ne faut pas détruire mais continuer à construire.
Si notre fédération prend acte de la nomination du nouveau ministre de l’Education nationale et lui souhaite de réussir à poursuivre la transformation de l’école dans l’intérêt des enfants et de la jeunesse, elle se montrera très vigilante, force de propositions et d’actions pour défendre une école publique qui assure la réussite de tous, réduise véritablement les déterminismes sociaux et contribue à renforcer le contrat social entre l’Etat et les citoyens en redonnant tout leur sens à nos valeurs républicaines.