Les élèves français ont la plume difficile ? Les recommandations du CNESCO pour leur donner le goût d’écrire

Le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco) a présenté le 11 avril ses recommandations pour donner aux élèves le goût d’écrire. Ce rapport, qui met l’accent sur l’écriture, notamment pour apprendre à lire, est issu d’une conférence de consensus réunie les 14 et 15 mars dernier. Pour améliorer l’expression écrite des élèves français, le CNESCO suggère de faire écrire davantage les élèves dès l’école primaire et de ne pas hésiter à utiliser les écrits numériques des élèves. Toutes ses recommandations reposent sur l’idée que la production d’écrits est la clé de l’apprentissage de la lecture, de l’orthographe et de la compréhension. Une position assez différente de celle du ministre Blanquer.
La production d’un texte est une compétence complexe, et la développer nécessite d’en appréhender les différentes dimensions : geste graphique, maîtrise de la langue, structuration d’idées… L’usage des outils numériques vient modifier les habitudes mais également ouvrir de nouvelles possibilités pour ces apprentissages. L’enjeu de la maitrise de l’écrit traverse toutes les disciplines scolaires, car l’écrit peut être utilisé pour réfléchir et pour apprendre. L’écrit dépasse également le cadre scolaire, à la fois au travers des pratiques quotidiennes des élèves, mais aussi parce qu’il joue un rôle social dans l’insertion professionnelle et dans la construction d’un sujet citoyen. La conférence de consensus a mis en évidence des difficultés croissantes des élèves français lorsqu’il s’agit de rédiger, a dressé un état des pratiques enseignantes et de leur efficacité et a présenté un bilan scientifique sur l’apprentissage de l’écrit.
Les élèves français n’ont pas la plume facile
Plusieurs constats ont vraiment de quoi inquiéter qui méritaient de faire l’objet d’un diagnostic global de façon à rectifier très vite la « pédagogie de l’écrit ». En moyenne, les élèves de 2015 font 18 erreurs alors que ceux de 1987 en faisaient 10 sur une même dictée. Mais tout aussi importantes que les capacités ou difficultés orthographiques des élèves, c’est la faible appétence pour la production d’écrits et les difficultés à rédiger qui doivent alerter.
En fin de CP, dans un exercice de narration de 15 minutes à partir de quatre images, 35 % des élèves ont une difficulté à rédiger et écrivent moins de 60 lettres lisibles. En CM1, les élèves français confirment leur difficulté à rédiger et se démarquent ainsi de leurs voisins européens. En effet, dans une enquête internationale, les élèves français sont parmi les plus nombreux à ne pas répondre aux questions ouvertes, particulièrement lorsque la réponse doit être longue (PIRLS 2011).
Au collège, en 3e, 40 % des élèves ne rédigent pas ou très peu (Cedre 2015, Depp). Et les difficultés apparaissent notamment dans la production de textes avec contraintes. Par contre en dehors des cours, malgré ces difficultés à rédiger dans un contexte scolaire, les élèves sont régulièrement amenés à écrire dans leur quotidien. Ainsi, les adolescents sont très largement équipés en téléphones ou smartphones (97 % des 12-19 ans, Igen, 2017). À travers l’utilisation des
SMS et des réseaux sociaux, ils sont très régulièrement amenés à écrire, plusieurs fois par jour. Sur le seul exemple des SMS, une étude a observé que les adolescents âgés de 12 à 17 ans envoyaient, en 2013, 381 SMS par semaine en moyenne (Crédoc, 2013). Si les pratiques ont pu évoluer des SMS vers les réseaux sociaux, l’écrit reste un moyen important de communication pour les jeunes : 77 % des 12-17 ans écrivent sur les réseaux sociaux (Crédoc, 2014).
Un impact sur toutes les matières
Autre souci, le fait que les difficultés à rédiger se répercutent dans les autres matières. En histoire-géographie et éducation civique2, 60 % des élèves de 3e n’ont pas su rédiger un texte cohérent (portant sur la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb) à partir d’une liste de mots donnés (Cedre 2012, Depp). Ils ont parfois répondu par des mots, des suites de mots ou une seule phrase sur plusieurs lignes. Enfin, les élèves de 3e semblent accorder peu d’importance à la lisibilité de leurs écrits. Lorsqu’on leur demande de produire un texte, seulement un tiers des élèves de 3e écrivent lisiblement. En sciences, les enquêtes montrent également un fort décalage du taux de non-réponses entre un QCM et une question à réponse construite. Ainsi, 20 % des questions ouvertes (où il faut rédiger) restent sans réponse, contre 3 % lorsqu’il s’agit d’un QCM (Cedre 2013, Depp). Les élèves les plus en difficulté sont ceux qui répondent le moins aux questions ouvertes. Ils sont donc pénalisés en sciences par leurs difficultés à produire des textes écrits.
On observe des difficultés croissantes en orthographe et en grammaire. En 30 ans, le nombre d’élèves réalisant peu d’erreurs (5 ou moins) est divisé par quatre, alors que le nombre d’élèves faisant beaucoup d’erreurs (25 ou plus) est, lui, multiplié par quatre. Les différences de niveau sont très marquées par l’origine sociale des élèves, avec un écart de 6 erreurs entre les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers. Les écarts entre les filles et les garçons, peu élevés en 1987 (1,8 erreurs), tendent à augmenter (3,5 erreurs en 2015).
L’efficacité des pratiques enseignantes en question(s)
Dès le début de l’école primaire, les activités de lecture l’emportent sur celles d’écriture, les enseignants accordant deux fois moins de temps à l’écriture. Son enseignement recouvre de nombreuses composantes (copie, calligraphie, production…) et le temps accordé à chacune est extrêmement variable dans les classes. Par la suite, en fin de primaire, peu d’enseignants se focalisent sur des activités menant les élèves à réfléchir sur la langue, alors qu’ils développent, presque tous, des pratiques relativement « traditionnelles » (dictée, mémorisation de mots, leçons et exercices d’application, entrainement de conjugaison…). Au moment de corriger les productions écrites des élèves, les enseignants tendent à se concentrer plus sur la forme que sur le fond, particulièrement pour les élèves présentant le plus de difficultés.
Du CP au collège, les mêmes angles morts ?
En CP, les activités d’écritures représentent 2h 23mn par semaine, soit près de deux fois moins que les activités de lecture (Lire et écrire au CP, 2016). Et la copie apparaît comme la première activité d’écriture pour les élèves de CP, en incluant le fait de copier une consigne, copier les devoirs… En CP, le travail du geste d’écriture occupe 16 minutes du temps hebdomadaire en moyenne, avec, une nouvelle fois, une très forte variabilité (de quelques minutes à près d’une heure). Le temps consacré diminue fortement au cours de l’année : 26 minutes en moyenne en novembre, seulement 8 minutes en mai : la moitié des enseignants ne la travaillent plus spécifiquement à cette période… Les enseignants de CP passent, en moyenne, seulement 6 minutes par semaine sur le travail de préparation à l’écrit. Le temps accordé à la révision des productions écrites des élèves est, quant à lui, de 10 minutes par semaine en moyenne.
En CM2 comme au collège, les enseignants couplent des activités traditionnelles d’étude de langue (dictée traditionnelle, leçons suivies d’exercices d’application, entrainements de conjugaison…) avec certains exercices intégrant des postures d’élèves plus réflexives (dictée dialoguée, enseignement de la langue à partir de la production de textes…).
Ainsi, neuf enseignants de CM2 sur dix déclarent pratiquer la dictée, souvent ou de temps en temps ; elle est encore très présente au collège (75 %5). En revanche, la dictée dialoguée ou coopérative (tournée vers la réflexion) n’est pas pratiquée, ou exceptionnellement, dans près d’une classe de CM2 sur deux et par deux tiers des enseignants de français au collège. De plus, 94 % des enseignants de CM2 déclarent faire mémoriser des mots à leurs élèves, alors qu’ils ne sont que 57 % à pratiquer des activités de mise en réseau de mots (intégrer le mot dans son contexte).
Plus globalement, en CM2, plus de 90 % des enseignants déclarent proposer, souvent ou de temps en temps, une leçon de grammaire, de vocabulaire ou d’orthographe suivie d’exercices d’application (Depp, 2013). Par ailleurs, 72 % des enseignants déclarent pratiquer souvent ou de temps en temps, un travail sur la langue directement lié aux productions écrites des élèves.
La question de la formation des enseignants est aussi un point central. 40 % des enseignants de CM2 déclarent n’avoir reçu aucune formation à la langue française, son apprentissage et son enseignement (Depp, 2013).
Une affaire d’évaluation
L’évaluation de l’écrit apparaît aux enseignants comme une tâche lourde, longue et délicate à réaliser. Les recherches menées depuis plus de 30 ans ont montré que les corrections portent sur les écarts à la norme plus que sur l’invention. Le pire constat ? Le fait que la posture enseignante qui s’intéresse le plus au « fond » des productions écrites des élèves n’apparaît que pour les devoirs jugés de qualité…
De nombreuses recherches ont permis d’identifier les pratiques efficaces pour amener les élèves à produire un texte de qualité. Ainsi, le processus d’écriture se décline en différentes phases, qui viennent nourrir et améliorer les textes des élèves : la préparation, l’utilisation constructive du brouillon, la production de textes (genres variés, écriture collaborative), la révision de textes (clarté, correction de la langue…).
Le CNESCO suggère dans son rapport d’équilibrer et articuler l’enseignement de la production de textes avec l’étude de la langue. “Divers travaux montrent une difficulté, voire une « peur d’écrire », directement liée à la performance orthographique. Les textes écrits des élèves servent souvent d’évaluation de leur maîtrise de l’orthographe. Il convient d’équilibrer les objectifs pédagogiques en articulant, dans les séquences d’enseignement, la production de textes et l’étude de la langue”.
Le CNESCO invite également à revenir à l’usage du « brouillon » mais pas dans une logique de simple recopie/mise au propre qui ne permet pas aux élèves d’améliorer leur production. L’idée c’est de leur enseigner des stratégies d’utilisation du brouillon qui s’avère bénéfique pour tous les élèves, les plus faibles comme les meilleurs ! Une étude menée auprès d’élèves en fin d’école primaire en 2017 montre que les textes produits sont de meilleure qualité lorsque les élèves ont reçu un enseignement des stratégies d’utilisation du brouillon. Selon une autre étude, une utilisation pertinente du brouillon permet de délester les élèves d’une partie de la tâche au moment de la production finale, et ainsi de se concentrer plus efficacement sur l’orthographe.
Écrire dans toutes les disciplines et former (tous) les enseignants
Les élèves de primaire ne font pas intuitivement la différence entre les différentes disciplines et les formes de textes qui leur sont propres : ils peuvent confondre, par exemple, le scientifique et le littéraire. Pour le CNESCO, des temps d’apprentissage doivent être consacrés à ces distinctions afin que les élèves les apprennent et qu’ils soient ensuite capables d’utiliser le vocabulaire, le ton et les formes adaptés.
Le CNESCO insiste : tous les enseignants, et non pas seulement les professeurs de français, ont besoin de comprendre comment les élèves apprennent l’écrit (les correspondances phonographiques, les capacités d’écriture et de production de texte) afin de pouvoir mettre en place des situations d’apprentissage adaptées. Ainsi, la formation des enseignants du primaire doit les rendre capables d’enseigner explicitement le fonctionnement des différents écrits disciplinaires. De plus, la formation doit permettre aux enseignants du secondaire d’intégrer l’écrit dans leur pratique disciplinaire. Les différents types de commentaires adressés aux élèves suite à leurs essais d’écriture, ainsi que leurs usages par l’enseignant, doivent être traités dans des dispositifs de formation associant enseignants et acteurs de la recherche. La formation doit permettre aux enseignants de comprendre les différentes postures à tenir pour accompagner au mieux les élèves quand ils sont en situation d’écrire, notamment les élèves à besoins éducatifs particuliers. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que les enseignants disposent de connaissances sur les principaux résultats des recherches en didactique du français, en psychologie cognitive, en sociologie, en neurosciences…
Faire collaborer les élèves
Le CNESCO encourage la collaboration entre élèves dans les travaux d’écriture. Les recherches suggèrent que la collaboration entre élèves améliore les écrits, au plan de la correction de la langue comme de la transmission du sens. Elle améliore également les compétences individuelles, car elle développe les stratégies des élèves mais également leur esprit critique et permet de co-construire des savoirs. Cette collaboration peut prendre des formes diverses : travail en duo avec des élèves « soutien », travail en petits groupes ou en classe entière… Mais l’idée cette que l’enseignant doit vraiment préparer cette collaboration !
Des pratiques de dictée efficaces orientées vers la réflexion
La dictée est une étape permettant aux élèves de mettre en pratique les gestes d’écriture et de consolider leur connaissance de la langue, éléments qu’ils devront mobiliser par la suite pour écrire et rédiger. Dans cet objectif, la dictée peut prendre différentes formes. Les recherches ont montré l’efficacité des dictées qui permettent d’engager une réflexion sur la langue. A la dictée « traditionnelle », le CNESCO préfère les dictées orientées vers la réflexion !
La dictée dite « traditionnelle » se présente comme un texte relativement long, le plus souvent littéraire, dicté avec ou sans préparation. La production de l’élève est ensuite corrigée et évaluée. À ce jour, les recherches n’ont pas mis en évidence les conditions pédagogiques permettant de faire progresser les élèves, notamment les plus fragiles, grâce à la dictée « traditionnelle » portant sur un texte long. D’autres formats de dictées ont été expérimentés. Ces formats s’appuient sur un travail réflexif autour de la dictée qui devient un moyen d’apprentissage et non uniquement d’évaluation. L’enseignant incite les élèves à s’interroger sur les phénomènes orthographiques qui leur posent des difficultés pour anticiper et corriger leurs erreurs.
En CP, plus le temps passé à écrire sous la dictée est grand, plus les progrès en écriture sont importants, avec un effet plafond à 40 minutes environ par semaine.
Le rapport publié par le CNESCO foisonne d’exemples de bonnes pratiques et de recommandations qui peuvent paraître de bon sens mais qu’il était temps de synthétiser et rassembler tant pour « lancer l’alerte » que pour donner un nouvel élan à l’enseignement, à l’apprentissage et au plaisir de l’écrit !
Parmi toutes les recommandations, certaines semblent incontournables comme celles-ci : « développer l’observation de la langue par les élèves et susciter leur curiosité. La « vigilance linguistique » consiste à induire chez les élèves une attitude d’observation et de curiosité à l’égard de la langue et de son fonctionnement, et à susciter leur questionnement ».
Retrouver toutes les analyses et recommandations ici : https://www.cnesco.fr/fr/ecrire-et-rediger/