Les élèves français peuvent-ils rattraper leur retard en mathématiques ?
L’étude Cèdre menée en 2019 sur des élèves de CM2 et de 3e montre que leur niveau en mathématiques a baissé, et l’enquête Timss de 2015 qu’il est inférieur à celui des autres pays de l’OCDE. Le ministère de l’Éducation nationale prétend redresser la barre, mais avec quels moyens ?
Une baisse de niveau accentuée par l’accroissement des inégalités
En CM2, plus de la moitié des 6 000 élèves testés ont un niveau en mathématiques jugé insuffisant. Mais surtout, leur proportion a augmenté depuis 5 ans, selon la même étude. Plusieurs indicateurs convergent sur ce constat, puisqu’en 2015, l’enquête internationale Timss avait déjà mis en évidence le faible niveau en mathématiques des écoliers français.
Selon l’étude Cèdre, un quart des élèves (26 %) ont un niveau faible ou très faible ; ils étaient 17 % en 2014. Au collège, ce décrochage est moins fort (24 % contre 20 %), mais il fait suite à plusieurs années de baisses consécutives. Sans surprise, le décrochage est plus net chez les élèves les plus défavorisés ; l’accroissement de la pauvreté et le creusement des inégalités font baisser le niveau global.
Le goût pour les mathématiques diminue lui aussi nettement, puisque 55 % des élèves de CM2 les abordent en classe avec plaisir, contre 77 % en 2014. Cause ou conséquence ? Cercle vicieux, peut-être. Il semble logique que peu d’élèves affectionnent une matière qui leur semble tellement inaccessible ; ceci dit, les mathématiques gagneraient sans doute à être plus souvent présentées, par les médias par exemple, comme une discipline attractive plutôt que comme une obligation pénible…
Peut-on inverser la tendance à moyens constants, comme le prétend le ministère ?
Le ministre de l’Éducation nationale affirme avoir pris en considération le rapport Villani-Torossian présenté en 2018, qui prônait notamment l’adoption de la « méthode de Singapour », fondée sur davantage de manipulation dans l’apprentissage. Parmi les nombreuses propositions du rapport, ce point précis a retenu l’attention : une fois de plus, c’est la pédagogie des professeurs qui est remise en cause – procédé habituel, facile et pas cher.
Ce que le ministre feint d’oublier, c’est que la découverte, la manipulation nécessitent des effectifs réduits et du temps, or la baisse constante de la DHG (dotation horaire globale) des collèges ne permet presque plus la constitution de demi-groupes, tandis qu’à l’école élémentaire, les classes qui ferment font augmenter les effectifs. La remise en cause de l’éducation prioritaire en cours risque encore d’aggraver les choses.
Par ailleurs, à Singapour, la formation initiale comme la formation continue des professeurs sont incomparablement plus conséquentes qu’en France ; ainsi les professeurs singapouriens ont bénéficié de 100 heures de formation pour s’approprier cette fameuse méthode.
Combattre les causes profondes : recrutement des professeurs et taille des classes
La réforme du lycée mise en place en 2019 contredit déjà toute prétention de revalorisation des mathématiques : elles ont disparu du tronc commun à partir de la 1re, et la spécialité « mathématiques » n’est accessible qu’aux élèves dont le niveau correspond à l’ancienne filière S. Dorénavant, un nombre croissant de bacheliers auront donc arrêté cette discipline en classe de 2de.
Pourquoi une telle contradiction ? Certainement parce que les professeurs de mathématiques sont devenus une denrée rare. Le nombre des candidats aux concours du Capes et de l’agrégation est nettement insuffisant, et trop de postes – particulièrement dans les collèges les plus défavorisés – sont confiés à des contractuels, très peu formés.
Le rapport Villani-Torossian prônait aussi l’accroissement de la place des mathématiques dans la formation des professeurs des écoles ; là encore, les candidats issus de formations scientifiques manquent, et le nombre d’heures consacrées à cette matière est très insuffisant.
Quant à la diminution de la taille des classes, plusieurs études (Piketty-Valdenaire, Monso, études suédoises) ont pointé son rôle notable dans l’acquisition des apprentissages, particulièrement pour les élèves de milieu défavorisé. Le dédoublement des classes de CP et CE1 en Rep et Rep+ aurait été une excellente mesure si elle ne s’était pas accompagnée de la quasi disparition des maîtres du réseau Rased, de la raréfaction des remplaçants et de l’augmentation des effectifs des autres classes…
Le miracle de Singapour n’existe pas : le niveau des élèves en mathématiques ne s’améliorera pas sans une baisse des effectifs par classe et une augmentation des heures de dédoublement, et sans une meilleure attractivité du métier de professeur, et une meilleure formation aux mathématiques. L’attractivité passe par une revalorisation significative du salaire (est-ce un hasard si la France est aussi l’un des pays qui paie le plus mal ses enseignants ?) et une amélioration des conditions d’exercice. Ces améliorations ne seront possibles que grâce à une nette augmentation des moyens alloués à l’enseignement public en général, à l’éducation prioritaire en particulier.