Parents et enseignants : des peurs réciproques
En novembre 2017, le magazine de la FCPE Paris Liaisons Laïques publie un dossier intitulé “Enfance pauvre, enfance invisible”. Retrouvez sur notre site web, en complément de ce numéro 325, des articles sur le même thème…
Tous les militants de terrain le savent : les parents en situation de précarité ou de pauvreté sont douloureusement éloignés de l’école, hésitent à y « entrer », à se confronter au regard et aux exigences de l’institution. Il suffit parfois de peu de choses, d’un regard ou d’un accompagnement nouveau pour changer le rapport de ces parents à l’école, rapport qui n’est pas fait de désintérêt. Mais il faut d’abord accepter de les écouter pour enfin comprendre où se nichent leurs craintes. De leur côté, les enseignants aussi témoignent de difficultés dans leur rapport aux familles en difficulté ou en situation de grande précarité. De quoi chacun a-t-il peur ?
Le remarquable travail mené par le mouvement ATD Quart Monde et le réseau Canopé Bretagne-Pays de la Loire dans le cadre du programme « Familles, école, grande pauvreté. Quand parents et enseignants s’en mêlent » a permis de proposer des supports de formation visant à améliorer la relation parents/enseignants[1]. Nourris des retours d’expériences du terrain, la première étape a consisté à mettre au jour et décrypter les craintes de chacun. Petite revue non exhaustive qui explique en fait ce qu’il y a derrière des comportements jugés « inappropriés » de part et d’autre. Car quand les parents se voient reprocher absence, inhibition ou violence, les professeurs sont facilement accusés de monopoliser la parole, parfois avec agressivité, ou de jargonner avec un langage inadapté.
Les peurs côté parents
- Ne pas pouvoir aider scolairement son enfant.
- Laisser son enfant à l’école ne sachant pas vraiment ce qui s’y passe.
- Voir son enfant évalué, observé, jugé par des personnes étrangères.
- Entendre des critiques sur son enfant.
- Transmettre son propre échec scolaire sur le mode de la « reproduction ».
- Entrer dans un espace dont ils n’ont pas forcément gardé un bon souvenir.
- Nuire à son enfant en pensant que l’école est son lieu à lui et qu’en tant que parent, il n’y a pas sa place, ni de rôle à jouer.
- Produire des effets négatifs qui seraient préjudiciables à son enfant.
- Observer les « représailles » que leurs interventions pourraient entraîner envers leur enfant.
- Subir la toute-puissance des institutions et une menace de placement de l’enfant, de redoublement, d’orientation, ou de sanction.
- Être dépossédé de son rôle de parent, en particulier lorsque l’enfant est présent lors des entretiens.
- Ne pas comprendre ce que va dire l’enseignant.
- Être en désaccord avec les enseignants et craindre de mal le formuler.
- N’avoir ni le vocabulaire, ni l’aisance verbale qu’il faudrait pour dialoguer avec l’enseignant.
- Donner une image négative de soi.
- Être jugé par l’enseignant.
- Ressentir de la honte et la partager avec son enfant.
- Subir le regard interrogateur, désapprobateur des autres parents.
Les peurs côté enseignants
- Être surveillé.
- Subir l’ingérence des parents.
- Se faire agresser verbalement, physiquement.
- Être contesté par des parents face à une sanction.
- Être pris à partie devant ses collègues.
- Être considéré comme un mauvais professionnel.
- Être jugé, critiqué, sur ses méthodes et ses compétences.
- Avoir à se justifier.
- Parler devant un groupe : perdre ses moyens, être déstabilisé devant les questions des parents.
- Assumer la différence d’âge et de maturité avec les parents lorsqu’on est jeune enseignant.
- Blesser les parents en annonçant des choses difficiles à entendre sur leur enfant.
- Ne pas comprendre ce que disent ou veulent les parents.
- Être dépourvu devant les interrogations voire leur détresse.
- Laisser paraître ses propres interrogations.
A la FCPE, les militants de terrain connaissent les recettes qui marchent pour dépasser les peurs, encore faut-il les partager et convaincre l’institution Education nationale de travailler au changement du regard sur les « parents pauvres ».
Les parents les plus éloignés de l’école doivent avoir du plaisir à venir à l’école ; il est crucial de leur donner les moyens de comprendre la mission de l’école, de comprendre ce qui se fait en classe et comment accompagner la scolarité de son enfant. Chaque parent doit pouvoir trouver du sens au savoir, être acteur de l’école. Il est impératif d’avoir un lieu d’accueil et d’accompagnement des parents entre eux, ces fameux « espaces parents » qui tardent tant à se mettre en place. Il faut créer du collectif entre tous les acteurs de l’école, et aussi pouvoir exprimer les désaccords.
[1] http://crdp2.ac-rennes.fr/blogs/familles-ecole-grande-pauvrete/