Pas d’école inclusive pour les enfants migrants ?

A l’heure où Anne Hidalgo, maire de Paris, annonce la création d’un camp humanitaire aux normes internationales au nord de la capitale pour accueillir plusieurs centaines de réfugiés, la question de la scolarisation des enfants migrants se repose avec acuité. Plaidoyer pour le déploiement de solutions dignes et rapides à la hauteur des besoins éducatifs de ces enfants-élèves réfugiés.
En décembre 2015, l’OCDE publiait « Les élèves migrants à l’école » pour interpeller à nouveau les pouvoirs publics sur leur politique d’accueil scolaire des migrants (le précédent rapport datant de 2010 était intitulé Combler l’écart pour les élèves immigrés).
La notion d’école inclusive est définie par l’Unesco comme « un processus qui implique la transformation des écoles et autres centres d’apprentissage afin qu’ils puissent s’occuper de tous les enfants […] et offrir à tous, jeunes et adultes, des possibilités d’apprentissage. Son but est d’éliminer l’exclusion, qui est l’une des conséquences d’une attitude négative face à la diversité concernant la race, le statut économique, la classe sociale, l’appartenance ethnique, la langue, la religion, le genre, l’orientation sexuelle et les aptitudes, ainsi que de l’absence de réponse à cette diversité. »
De nombreuses alertes en direction des pouvoirs publics
L’OCDE comme le Conseil de l’Europe ont plusieurs fois alerté les gouvernements sur le taux élevé de décrochage scolaire des migrants et des Roms, auxquels s’ajoutent plus spécifiquement en France la situation scolaire difficile des enfants de familles de gens du voyage françaises.
Les enquêtes montrent que les inégalités s’accroissent lorsque les élèves migrants atteignent une étape de la scolarisation comprenant une sélection, généralement à l’orientation en fin de troisième et quand le français n’est pas la langue parlée à la maison ou que la situation socio-économique de la famille est modeste. On constate aussi un lien entre difficultés scolaires et absentéisme avec un grand nombre de jours d’absences scolaires liées à l’accompagnement des parents dans des démarches administratives d’accès aux droits. En effet les enfants apprennent plus vite la langue du pays d’accueil que leurs parents et leur servent d’interprète.
La SEGPA ou le CNED plutôt que l’inclusion
Sur la question de l’orientation, le problème ne concerne pas que la classe de troisième car on observe localement des orientations d’enfants migrants et voyageurs en Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA) dès la sixième non pas tant en fonction de leurs compétences scolaires mais de leur niveau de maîtrise de la langue française et des normes scolaires de comportements et d’usages.
Ainsi concernant spécifiquement la situation des enfants du voyage l’inclusion dans une classe de 6e ordinaire est bien souvent supplantée soit par une orientation en SEGPA et, pire, vers une inscription au CNED (Centre National de l’enseignement à Distance) où ils suivront une scolarité à distance, entraînant de très nombreuses situations d’illettrisme à l’âge adulte.
On observe même parfois des familles sédentarisées depuis plusieurs générations mais dont les enfants sont inscrits officiellement au CNED ! Ce qui signifie des enfants sans aucun lien avec les apprentissages ni le cadre scolaire et donc en décrochage scolaire.
Refus de scolarisation et étiquetage des différences
A plusieurs reprises, le Défenseur des droits ont pris position sur les refus de scolarisation d’enfants migrants et voyageurs ayant entraîné des plaintes auprès des tribunaux administratifs.
Un programme de recherche est également financé depuis 2014 qui porte sur les dispositifs spécifiques de scolarisation des EANA (élèves allophones nouvellement arrivés) et des EFIV (enfants de familles itinérantes et de voyageurs), principalement coordonnés par les CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés).
A noter que dans l’étiquetage administratif, suivant les textes et les publics, le E désigne pour les uns des élèves et pour les autres des enfants ! Y aurait-il donc des « E » qui n’ont même pas le droit au statut d’élève ?
Ces différents sigles montrent surtout à quel point il est difficile de parler simplement des enjeux d’inclusion scolaire. Et si le rôle des CASNAV est de fournir un appui expert aux établissements et enseignants qui accueillent les EANA et les EFIV, force est de constater que ce rôle est rempli bien différemment sur le territoire !
Un retard considérable sur le terrain pédagogique
Concernant les enfants du voyage, la Cour des comptes notait dans un rapport de 2012 que la circulaire 2002-101 du 25 avril 2002 indiquant la nécessité de créer des outils pédagogiques et d’évaluations adaptés n’avait pas été suivie d’effet et qu’il en résultait que chaque académie voire même chaque établissement créait ses propres outils…. ou pas.
Les études de terrain montrent, elles, que les enseignants se disent démunis dans les réponses pédagogiques à proposer pour répondre aux besoins des enfants migrants et voyageurs. Pas assez de formation continue et donc autoformation sur le tas pour les plus motivés !
L’éducation est un droit et non un privilège !
L’éducation est un droit consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Pour informer les élèves de ce droit dont ils bénéficient, l’Éducation nationale en France privilégie le recours aux documentaires sur l’école. Des documentaires qui nous montrent des enfants étrangers qui partout dans le monde fournissent de grands efforts physiques, sociaux, économiques pour accéder à l’éducation. Soyons à la hauteur de nos promesses, ouvrons leur les portes de chaque établissement scolaires, mettons en œuvre une inclusion digne de ce nom.
A lire également :
« Pas d’école inclusive pour les enfants migrants et itinérants », Elivre Bornand et Erell Latimier, The Conversation, 31 mai 2016