Pourquoi l’annonce du remboursement de 10 séances chez le psychologue pour les 3-17 ans est une fausse bonne nouvelle ?
Pour répondre à cette question, il faut déjà se demander pourquoi la population a besoin de ces dispositifs multiples (outre celui-ci, il y a déjà eu le chèque-psy étudiant pour 3 séances, et le remboursement de 4 séances par an par les mutuelles pour les adultes) ? La réponse est à la fois simple et dramatique : depuis des années, sous ce gouvernement comme les précédents, les moyens alloués à la psychiatrie, la pédopsychiatrie, et les services de prévention ont été diminués, en dépit des besoins de la population.
Quand, il y a 15 ans, on obtenait un premier rendez-vous dans un CMP [1] en 2 à 3 semaines, aujourd’hui, selon les secteurs, l’attente s’échelonne entre 6 mois et 2 ans ! Si les structures du soin psychique avaient les moyens d’accomplir leurs missions de service public, nous n’en serions donc pas là. De même, les psychologues de PMI [2] peuvent accueillir les enfants de moins de 6 ans pour quelques consultations, qui permettent souvent de dénouer des difficultés qui pouvaient peser sur leur développement. Ces services ont perdu beaucoup de moyens et ne sont plus en mesure, sur de larges parties du territoire, de mener correctement leur rôle de prévention et de prise en charge précoce.
Le gouvernement aurait dû, depuis longtemps, renforcer les moyens de ces services publics sinistrés.
Par ailleurs, les dispositifs annoncés imposent un passage par le médecin qui serait censé valider le besoin de recourir à un psychologue. Cette obligation, outre qu’elle complique et allonge l’accès au professionnel, ne permet pas aux parents de suivre leur propre ressenti, et ne respecte pas le code de déontologie des psychologues. Cet aspect limite également la confidentialité, même si le médecin est soumis au secret médical : il est important que chacun puisse accéder à un psychologue sans avoir besoin d’exprimer son mal-être à un médecin.
Certaines zones de notre pays sont de véritables déserts médicaux, où obtenir un rendez-vous chez le généraliste peut prendre plus de 2 mois ! La prescription par un médecin viendra donc ralentir drastiquement l’accès au psychologue. On le voit avec les chèques-psy pour les étudiants, qui nécessite le passage par le médecin universitaire : sur les 2 millions d’étudiants en France, seuls 930 ont bénéficié à ce jour de ce dispositif (soit 3 mois après son annonce), notamment du fait de la complexité administrative qu’il implique [3].
Un autre point nous semble particulièrement important et inacceptable dans les aides annoncées, c’est l’iniquité de l’accès aux soins psychiques. En effet, seuls les enfants et ados qui souffrent de troubles anxieux ou dépressifs en lien avec la crise sanitaire seront concernés par l’aide de l’État : quid des 3-17 ans dont les difficultés n’entrent pas dans cette case ? Cette iniquité était déjà un point négatif des chèques-psy étudiants, qui laissaient sur le bord du chemin les jeunes adultes non-inscrits à l’université, qui pourtant sont en grande partie, également, en souffrance psychique du fait de la situation actuelle.
De plus, si depuis tant d’années les psychologues en libéral reçoivent des patients à côté des structures de psychiatrie et pédopsychiatrie, c’est qu’il existe une réelle complémentarité entre ces 2 situations. Selon les besoins du patient, il bénéficiera mieux de l’une ou l’autre prise en charge. Annoncer un remboursement des psychologues en libéral sans prendre des mesures ambitieuses pour nos services publics est donc démagogique et dangereux, alors qu’il est indispensable, pour faire face à cette 3ème vague psychiatrique, de retrouver un équilibre entre le soin psychique en ville et en institution.
Malheureusement, comme dans le domaine de l’éducation, ce gouvernement va dans le sens d’une libéralisation du soin psychique.
Enfin, ces dispositifs de remboursement, qui mettent en jeu les psychologues, sont pensés sans aucun dialogue avec les représentants de cette profession. De plus, si le remboursement proposé est le même que celui qui a été mis en place dans les expérimentations de la CPAM ou pour le chèque-psy étudiant, peu de psychologues accepteront de s’y conformer. Pour les autres, afin de se dégager un revenu suffisant, ils n’auront d’autre choix que de limiter le temps de consultation, sans possibilité de respecter la temporalité des échanges avec le jeune patient et ses parents. Ils n’auront pas non plus la capacité de passer du temps (non rémunéré) en échange avec les autres soignants et éducateurs de l’enfant (orthophoniste, psychomotricien, enseignants…), ni de participer aux réunions scolaires, alors que ces échanges sont primordiaux pour assurer une prise en soin cohérente autour de l’enfant ou l’adolescent, afin que celle-ci soit efficace.
Au final, cette mesure sera donc préjudiciable autant pour les patients que pour les psychologues.
Or bien d’autres choses pourraient aider les enfants à faire face au stress et aux inquiétudes liées à la période actuelle et aux difficultés psychologiques qu’elles engendrent. Premièrement, la souffrance des enfants est bien souvent liée à celle des parents ou à des difficultés financières au sein de la famille. Si le chômage partiel a été mis en place pour aider les personnes à faire face à une baisse d’activité professionnelle, les familles ne bénéficient actuellement d’aucune aide supplémentaire, alors que les familles sont particulièrement vulnérables et que les périodes où les enfants ne sont pas scolarisés sont synonyme de frais supplémentaires. Deuxièmement, un renforcement de la médecine scolaire – de l’école élémentaire au lycée, général ou professionnel, et une formation des professionnels de l’Education Nationale aux signes de troubles pscychiques des enfants et des adolescents pourraient permettre de contribuer à identifier les enfants en difficulté rapidement, les accompagner, et aider à les orienter vers des professionnels de santé. Enfin, plus que jamais, la psychiatrie publique et les institutions d’accompagnement des enfants dans des situations de vulnérabilité (Aide Sociale à l’Enfance, Protection Judiciaire de la Jeunesse), ont besoin de moyens supplémentaires – investir dans la jeunesse, son accompagnement et sa protection est plus que jamais prioritaire.
Un remboursement oui, mais pas n’importe comment !
[1] CMP : centre médico-psychologique, structure de soin psychique accueillant les patients de façon pluridisciplinaire et gratuite.
[2] PMI : centre de protection maternelle et infantile, structure départementale de prévention pour les mères et les enfants de 0 à 6 ans
[3] Voir l’émission C’est ce soir du 15/04/21 https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir-le-debat/c-ce-soir-le-debat-saison-1/2378859-crise-sanitaire-un-monde-sans-horizon.html