Qui veut la peau des RASED ?
En février 2017, une étude IREDU publiée sous le titre « Quels effets du passage en RASED sur le parcours des scolaires des élèves » critiquait fortement le dispositif d’aide aux élèves en difficulté, jugé inefficace voire contre-productif. Colère et stupeur chez les enseignants spécialisés qui répondent en démontant les biais du rapport et rappellent les méthodes bénéfiques et les objectifs essentiels de ces réseaux d’aide aux élèves en difficulté. Reste que les RASED ont besoin pour être efficaces, et donc crédibles, de moyens humains autant que de reconnaissance institutionnelle, ce qui n’est pas toujours le cas.
Le rapport n’égratigne pas les RASED, il les flingue. Les auteurs commencent par pointer « un certain flou dans les critères d’orientation au sein des RASED : ce ne sont pas toujours les élèves en plus grande difficulté scolaire et comportementale qui bénéficient de ce dispositif ». Ils dénoncent ensuite carrément « un effet négatif du passage en RASED sur la réussite scolaire des élèves » allant jusqu’à formuler qu’ « à caractéristiques comparables, les élèves ayant bénéficié du RASED en CP ont une probabilité plus forte de redoubler leur CP et obtiennent des résultats significativement plus faibles aux évaluations de CE2 par rapport aux élèves non passés par ce dispositif, surtout en mathématiques ». Pour eux, non seulement les RASED ne remplissent pas pas leur mission — répondre aux difficultés d’apprentissage et d’adaptation aux exigences scolaires de certains élèves — mais ils pourraient avoir des effets négatifs avec un recrutement trop large des élèves, un effet d’étiquetage néfaste à leur carrière scolaire et des résultats au mieux neutres.
Les RASED à terre ? C’est sans compter la grande professionnalité et l’engagement des enseignants spécialisés qui, sur et depuis le terrain, donnent leur point de vue et peuvent ainsi éclairer parents et décideurs.
La relation d’aide à l’élève
Dans sa réponse publiée sur le site web des Cahiers pédagogiques, Thérèse Auzou-Caillemet (Fédération nationale des associations de Maîtres E, FNAME) rappelle quelques éléments essentiels pour tous ceux qui ne contenteraient pas d’un énième et las « rien ne marche » face à la difficulté scolaire.
Elle rappelle d’abord combien le métier d’enseignant spécialisé a évolué depuis 20 ans au bénéfice des enfants. Trois circulaires successives (en 2002, 2009 et 2014) ont précisé leurs missions. Les référentiels de compétences ont eux-mêmes été modifiés en 2004 puis 2016. En parallèle la FNAME qui représente plus d’un millier d’enseignants spécialisés à dominante pédagogique, s’est dotée d’un comité scientifique. Les chercheurs engagés à ses côtés accompagnent de leur regard spécifique la réflexion professionnelle autour de la spécificité du maître E mais aussi autour des moyens les plus appropriés pour répondre aux besoins des enfants en difficulté. En 2013, la « Charte du maître E » a permis de mettre en évidence trois piliers essentiels de son identité professionnelle et de sa posture d’accompagnement spécifique : enseignant ET spécialisé, travaillant à la construction des apprentissages par l’élève rencontrant des difficultés à l’école, professionnel de la relation d’aide à l’élève en difficulté et acteur de partenariats et de réseaux au sein desquels il agit.
La force du partenariat
Il s’agit aussi de préciser comment se passe la sélection des élèves, en quoi consiste la logique du partenariat concerté. La difficulté scolaire est multifactorielle et c’est aussi la raison pour laquelle elle nécessite une analyse de plusieurs personnels spécialisés pour définir l’aide la plus appropriée en collaboration avec l’élève, les parents et bien entendu l’enseignant de la classe. Ce n’est qu’après avoir mis en place avec des résultats insuffisants, le soutien et les différenciations pédagogiques, que ce dernier fait une demande d’aide au RASED. C’est lui qui interroge le RASED sur les difficultés qu’il rencontre à faire progresser tel ou tel élève. Sa demande est élaborée en concertation avec les parents puis étudiée avec les membres du RASED, chacun apportant son point de vue spécifique pour prendre en compte l’élève dans sa globalité tout autant que dans sa singularité.
Les maîtres à dominante pédagogique (maîtres E) travaillent davantage sur la difficulté dans les apprentissages, ils aident à la mise en place de compétences instrumentales et cognitives, à mettre du sens sur les tâches scolaires, à mobiliser ses savoirs et expliciter ses stratégies d’apprentissage pour les rendre plus efficientes. L’aide des rééducateurs (maîtres G) concerne les enfants scolarisés dont les difficultés se manifestent par de l’instabilité, de l’inhibition, une communication difficile, un refus partiel ou total de la situation scolaire, des difficultés dans la pratique de la langue écrite ou orale.
Les psychologues scolaires réalisent des entretiens avec l’enfant, les enseignants, les parents et procèdent à des observations, des bilans et des observations psychologiques afin de mieux comprendre la problématique et trouver les solutions pour la faire évoluer conjointement avec les différents acteurs autour de l’enfant.
L’étude IREDU reproche au RASED de ne pas permettre une augmentation des résultats aux évaluations (de CE2 pour les élèves pris en charge en CP). Mais elle oublie d’intégrer une dimension essentielle : le fait que les RASED travaillent avec des élèves aux difficultés importantes et surtout durables, des élèves qu’il faut souvent accompagner sur plusieurs années. Par ailleurs, l’évaluation des progrès d’un enfant ne peut-il se faire qu’au travers des évaluations nationales ? Certainement pas !
Des professionnels au sein de chaque école
Quant à l’argument de l’immense stigmatisation que représenterait le fait « d’avoir été pris en charge par le réseau », entachant définitivement l’ensemble de la carrière scolaire d’un élève, c’est tout simplement ridicule. Si stigmatisation il y a, elle est davantage le fait de la difficulté elle-même que de sa prise en charge par une aide spécialisée dans la classe. Par ailleurs, rappelons-le, depuis l’affaiblissement des RASED on assiste à une vraie surmédicalisation avec une augmentation de troubles divers dont se retrouvent affublés beaucoup d’élèves. De fait, en externalisant la difficulté scolaire par la faiblesse du RASED, l’institution organise en creux un étiquetage durable des élèves bien plus dommageable.
Comme la FCPE Paris le rappelle à chaque CDEN de rentrée ou premier degré, l’école doit disposer en son sein de professionnels experts de la difficulté scolaire qui ont des compétences psychologiques, pédagogiques, sociologiques, didactiques, et savent surtout travailler en réseau. C’est en les renforçant et en leur redonnant les moyens humains d’agir (avec des bassins d’intervention décents) qu’elle pourra lutter efficacement contre les inégalités scolaires et que l’école inclusive pourra enfin prendre forme.
A Paris, nous attendons encore la nouvelle carte des RASED, promise en 2013, ainsi que les mesures nécessaires pour permettre à tous les enfants en difficulté d’en bénéficier, ce qui est loin d’être le cas actuellement.