Retour sur la campagne d’affichage du Ministère de l’Éducation Nationale sur la laïcité à l’école
Alors que l’Education Nationale a lancé, au début de l’année, une nouvelle campagne visant à sensibiliser les élèves sur le thème de la laïcité, la FCPE Paris a été interpellée par les objectifs et la forme de cette initiative. Pour réfléchir aux enjeux de cette campagne sur la laïcité, nous avons rencontré le sociologue Mathieu Ichou, chargé de recherche à l’Institut National des Etudes Démographiques (INED), co-responsable de l’unité Migrations Internationales et Minorités, et spécialiste de la sociologie de l’immigration, de l’éducation, des inégalités de santé.
La laïcité est une valeur forte de la FCPE, mais le flou autour de sa signification pose question aux parents. La récente campagne d’affichage sur la laïcité du Ministère de l’Education Nationale fait suite au rapport sur la laïcité à l’école et la formation des enseignants à la laïcité réalisé par Jean-Pierre Obin. Néanmoins, cette campagne ne clarifie pas la question de ce qu’est la laïcité à l’école, bien au contraire.
Une campagne qui prête à confusion
Première observation : cette campagne prête à confusion sur ce que représente la laïcité, qui se distingue de l’immigration, de l’intégration ou du multiculturalisme. La loi de 1905 repose sur trois principes : la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions (source : https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Cultes-et-laicite/La-laicite). Elle garantit donc la neutralité de l’Etat et de ses agents face aux religions, et permet la liberté de conscience de chacun tout en protégeant l’égalité de tous devant le droit.
Or, la campagne d’affichage de l’Education Nationale représente non pas des agents de l’Etat, comme gardiens de la laïcité, mais uniquement des enfants, et, parmi eux, des enfants a priori issus de l’immigration et portant des prénoms à sonorité non-chrétienne. Ainsi, la responsabilité de l’Etat vis à vis de la laïcité serait transférée à la population elle-même, en l’occurrence au public scolaire, et en particulier aux minorités visibles mises en avant sur les affiches : on pointe du doigt certaines minorités et on leur impose une responsabilité de la mise en œuvre de la laïcité. Mais cette responsabilité n’est pas imposée à tous les élèves, seulement à ceux qui ne portent pas un prénom traditionnel français et/ou sont issus de minorités visibles. Cela confère un caractère discriminatoire à la campagne ! Où sont représentés les élèves issus d’écoles privées catholiques, par exemple ?
Faire le lien entre les familles et l’Ecole
Cette représentation de la diversité ethnique, religieuse et migratoire sur les affiches, n’est cependant pas choquante en soi. Au contraire, elle est cohérente avec ce qu’est la société française, en particulier en région parisienne. Mais cette diversité est rarement mise en avant : dans le cas de cette campagne, elle est directement associée aux questions de laïcité. Les affiches nous parlent de la diversité des élèves, de leur intégration et de leur coexistence dans les établissements scolaires, mais pas de la laïcité.
La sous-représentation des familles issues de la diversité au sein des associations de parents d’élèves est un des problèmes auxquels la FCPE Paris se heurte régulièrement. Mais cela ne signifie pas que ces familles ne s’investissent pas dans l’école et la scolarité de leurs enfants. Porter la parole des familles requiert des compétences spécifiques (notamment de recherche d’information, de prise de parole…), de la disponibilité et un sentiment de légitimité que toutes les familles n’ont pas. En général, les familles issues de l’immigration accordent une confiance plus grande à l’institution scolaire et aspirent eux aussi à la réussite scolaire de leurs enfants. Leur investissement est peu visible pour l’institution scolaire, dont ils ne possèdent pas toujours les codes, comme pour les représentants de parents. Ainsi, les enseignants peuvent parfois avoir l’impression que certains parents sont désinvestis de l’école, alors que cette dernière sollicite de plus en plus les familles grâce à tous les outils numériques mis à leur disposition. L’institution attend de plus en plus de réactivité des familles, et interprète facilement le manque de réponses comme un désintérêt des parents sur la scolarité des élèves. La FCPE peut faire le lien entre les établissements et les familles qui n’osent pas venir d’elles-mêmes à l’école pour les aider à communiquer et à se comprendre.
Des inégalités criantes
Par ailleurs, cette campagne sous-entend que la laïcité renforce l’égalité entre les élèves. Mais on constate à l’échelle parisienne que les inégalités subsistent : la ségrégation sociale et ethno-raciale s’opère entre écoles d’un quartier, et même au sein des établissements scolaires eux-mêmes (notamment par des systèmes de classes à options réservées à un public privilégié). La ségrégation dans le milieu scolaire est forte en France. Elle se concentre plus particulièrement sur des élèves issus de l’immigration ou de classes populaires, qui ont souvent droit à une offre scolaire moins favorable à l’apprentissage (moins d’options proposées, des enseignants moins expérimentés, …). Avec une offre éducative différente entre les établissements scolaires, les élèves sont, de fait, traités de manière inégalitaire : ce n’est pas un principe de laïcité mal défini qui accordera l’égalité aux élèves.Quelle politique pour l’égalité et la mixité ?
Enfin, il ne semble pas y avoir, actuellement, de volonté politique pour améliorer l’égalité et la mixité scolaire. Les inégalités et la ségrégation scolaires résultent de paramètres extérieurs à l’école, régis par les pouvoirs publics, comme la sectorisation, les inégalités socio-économiques des familles, la proportion de logements sociaux dans un quartier et les seuils d’accès à ces logements. La politique d’assouplissement de la carte scolaire en 2007 a eu des effets particulièrement négatifs sur la mixité sociale et scolaire, offrant prioritairement la liberté de choix aux familles de niveau socioculturel plus élevé. Nous faisons face à un problème systémique global : l’école ne peut pas seule améliorer la mixité, et doit être soutenue par des politiques publiques ambitieuses.
Pour la FCPE Paris, le but de la campagne d’affichage de l’Education Nationale n’est pas clair. Quelles sont les actions menées par l’Etat pour favoriser la mixité sociale, et évoquer la laïcité avec sérénité dans les établissements scolaires ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour réduire les inégalités sociales à l’école, notamment au collège et au lycée ?
Ressources :
- Mathieu Ichou : ” Rapprocher les familles populaires de l’école” https://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/dossier_etudes/dossier_125_-_deuxieme_prix.pdf
- Sources possibles de statistiques sur les migrations : INSEE (recensement des populations); Ministère de l’Intérieur – DGEF (statistiques fondées sur les titres de séjour); OFPRA (demandes d’asile), Education nationale (informations sur les primo arrivant)
- Travaux de Maïtena Armagnague et Isabelle Rigoni sur la scolarisation des élèves primo-arrivants et les trajectoires scolaires – https://www.unige.ch/fapse/edumij/equipe/maitena-armagnague/