Suppression de 1500 postes d’enseignants
Tribune publiée par Libération le 20 janvier 2023
La crise sanitaire liée au COVID-19 a privé des millions d’élèves d’une scolarité normale pendant des mois. Les plus jeunes ont vu leur scolarité amputée et entrent au collège avec des besoins décuplés tant dans leurs apprentissages que dans leur posture d’élève. La fréquence des troubles anxieux et dépressifs a explosé chez les jeunes, avec une augmentation alarmante des tentatives de suicide chez les moins de 15 ans. Les retombées des années COVID-19 sont encore bien réelles aujourd’hui alors qu’à cette crise sanitaire succède une crise économique et sociale qui affecte largement les familles — précarité de l’emploi, baisse du pouvoir d’achat, explosion des prix de l’immobilier dans les principales grandes villes en France. Le ministère de l’Éducation Nationale s’est félicité d’un retour « à la normale » suite aux évaluations nationales des élèves de CP, de CE1 et de 6ème effectuées à la rentrée 2022. Les résultats n’en demeurent pas moins inquiétants, avec des scores moyens en baisse par rapport aux années précédentes. Désormais 27% des élèves sont en difficulté scolaire, contre 22% en 2021. Est-il besoin de rappeler que la « normale » des résultats scolaires en France n’est pas reluisante ?
C’est dans ce contexte que le Ministère de l’Education Nationale annonce, pour la rentrée 2023, la suppression de 1000 postes d’enseignants dans les écoles maternelles et élémentaires (155 à Paris) et 500 postes dans les collèges et lycées (182 à Paris).
Ces derniers mois, le ministère de l’Education Nationale n’a eu de cesse de communiquer sur la baisse du nombre d’élèves, notamment dans les écoles et collèges publics : baisse démographique, déménagements hors de grandes villes comme Paris où la vie est devenue trop chère pour les classes moyennes… Il serait donc « normal » de baisser les moyens dévolus à l’éducation, de « rendre des postes » ?
L’école privé contribue à renforcer les inégalités sociales
En 2018, selon les enquêtes PISA de l’OCDE, la France se positionnait entre le 20ème et 26ème rang selon type d’apprentissage et entre le 15ème et 21ème rang en Europe.[1] Cette enquête révèle aussi des inégalités sociales face aux apprentissages particulièrement criantes : un élève de milieu social défavorisé subit en moyenne quatre années de retard par rapport à un élève de milieu social favorisé. En 2022, dans les collèges classés en REP+, plus de la moitié des élèves rencontrait des difficultés importantes en mathématiques et en français. En outre, les élèves français sont, parmi ceux des pays de l’OCDE, ceux qui rapportent le plus de problèmes de climat scolaire impactant leur scolarité, cause supplémentaire d’inégalités scolaires, dans l’OCDE.
Le ministère de l’Education Nationale se félicite des moyens déployés dans les écoles en REP et REP+ avec le dédoublement des classes de CP et CE1, tout en rappelant à loisir que les résultats de cette réorganisation ne seront visibles qu’après quelques années. Néanmoins, ces dédoublements en élémentaire ont été mis en place au détriment de postes dans les écoles non classées en REP et dans les collèges et lycées (baisse du nombre de remplaçants disponibles, diminution de l’offre d’enseignement des langues vivantes et des options accessibles aux élèves…).
Quant aux résultats des évaluations nationales des élèves de CP et CE1 en début d’année 2022, ils montrent que les écarts entre élèves scolarisés en REP+ et ceux d’écoles publiques hors éducation prioritaire se sont creusés depuis 2019, en mathématiques et en français. C’est sans compter la place de l’école privée qui contribue à renforcer davantage les inégalités sociales dans la réussite scolaire, alors qu’elle bénéficie de subventions de l’État à hauteur d’environ 70% de son budget. Environ 30% des élèves y sont scolarisés, un grand nombre d’entre eux sélectionnés sur leurs performances scolaires.
Déployer des moyens au profit de tous les élèves
Si la démographie des élèves diminue, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés dans les écoles, collèges et lycées augmente. Mais l’école inclusive, tant prônée par le ministère de l’Education Nationale, reste une illusion : les moyens mobilisés sont insuffisants, les enseignants spécialisés et les AESH manquent cruellement (environ 300 postes non pourvus rien qu’à Paris), sans compter le manque de personnel socio-sanitaire (assistantes sociales, infirmières et médecins) pourtant essentiels au suivi des élèves.
Privés de l’accompagnement dont ils ont besoin, les élèves en situation de handicap, comme les élèves les plus défavorisés, se retrouvent en grande difficulté, ce qui nourrit le décrochage scolaire voire la déscolarisation.
C’est dans ce contexte peu amène que le gouvernement annonce une nouvelle baisse du nombre de postes d’enseignants à la rentrée 2023, tout en peinant à recruter et alors que le nombre d’enseignants contractuels ne cesse d’augmenter. Sans enseignants supplémentaires, c’est le nombre d’élèves par classe, déjà parmi les plus élevés en Europe, qui augmentera nécessairement – il atteint déjà 30 élèves par classe en moyenne dans les lycées, 26 au collège. Est-ce vraiment opportun, alors que bon nombre d’élèves restent fragiles, et que les familles s’inquiètent de la qualité du système éducatif et de l’avenir de leurs enfants ?
Les parents de la FCPE Paris sont extrêmement préoccupés par les inégalités sociales et scolaires, constatées à Paris et ailleurs en France, et par la souffrance psychique qui touche nombre d’élèves. Le ministère de l’Éducation Nationale doit saisir l’opportunité de la baisse démographique pour déployer des moyens au profit de tous les élèves :
- Effectifs réduits par classe, y compris en dehors de l’éducation prioritaire ; scolarisation des élèves de moins de 3 ans ; attribution de moyens fléchés aux écoles, collèges et lycées pour aider les élèves en difficulté scolaire (effectivité des Réseaux d’Aides à la Scolarisation des élèves en difficulté (RASED) ; heures de soutien dédiées au-delà de l’Aide Personnalisée.
- Renforcement de la mixité sociale et scolaire dans tous les établissements : par la refonte de la sectorisation des écoles et collèges, par la baisse du financement public des écoles privées au profit des écoles publiques qui accueillent les élèves sans les sélectionner.
- Recrutement d’enseignants et personnels de soutien en nombre suffisant, pour garantir le remplacement de chaque enseignant absent et l’accompagnement nécessaire à chaque élève.
Investir dans l’école publique aujourd’hui est fondamental pour forger l’avenir de nos enfants et pour le bien de notre société.
[1] OCDE, Résultats du PISA 2018 pour la France,
https://www.oecd.org/pisa/publications/PISA2018_CN_FRA_FRE.pdf