« Affaire Arago » : de la sidération à la colère, les parents d’élèves mobilisés
Lundi 28 mai, la FCPE organisait en soirée, au siège national, une rencontre avec plusieurs dizaines de parents des lycéens arrêtés au lycée Arago (Paris XIIe) en marge de la mobilisation du 22 mai. L’occasion de leur offrir des conseils juridiques mais surtout de recueillir leurs témoignages de parents sous le choc, sidérés par un événement inédit : la répression de plus d’une centaine de lycéens mineurs et d’étudiants pour avoir participé à une manifestation visant à occuper symboliquement un lycée afin de contester un système de sélection risquant d’amplifier les inégalités sociales et de priver d’accès à l’enseignement supérieur un grand nombre d’entre eux.
Dans la salle, les témoignages des parents d’élèves et de leurs enfants convergent. Interpellations policières brutales, problèmes sur les conditions de privation de liberté, problèmes sur les notifications et conditions des gardes à vue, problèmes sur les motifs pour retarder l’information des familles, « roulette russe » sur les chefs d’accusation.
Les prises de paroles s’enchaînent qui décrivent des adolescents violentés, menottés, confinés plusieurs heures dans un fourgon, sans pouvoir boire ou uriner, sans se voir notifiés leurs droits légaux, avoir accès à un avocat, à un médecin, à leurs parents, pourtant représentants légaux dans les délais légaux, parqués à plusieurs dans des cellules de garde à vue insalubres, humiliés par des fouilles à nu, confrontés à des fonctionnaires de police non formés pour interroger des mineurs, incapables de prévenir ou de rassurer toutes les familles confrontées pour la première fois à la violence de l’institution policière.
La répression des lycéens parisiens, révélée au grand jour dans les médias ces derniers jour et dénoncée par de nombreuses voix et professionnels de la justice, doit nous mobiliser à court, moyen et long termes.
Comme le rappelait le Syndicat de la Magistrature dans son communiqué de presse du 26 mai dernier, « deux infractions ont servi l’action policière : l’intrusion dans un établissement scolaire et la participation à un attroupement en vue de la préparation de dégradations ou de violences. Ces deux infractions pénales – dont la seconde a fait un retour en force dans la répression des manifestants – sont nées sous l’ère sarkozyste, et procèdent d’un mouvement qui vise à pénaliser, non pas un dommage social réel mais une potentialité. » A juste titre, le Syndicat de la Magistrature dénonce « un droit pénal putatif donc, formidable outil dans un contexte revendicatif : le ministre de l’Intérieur peut alors déployer l’action policière, ses effets bien réels – la garde à vue – et ceux plus immatériels – la dissuasion à destination des jeunes mobilisés partout ailleurs ».
Ce qui est en jeu, et dénoncé par la FCPE Paris, c’est la criminalisation du mouvement social en général, et des mouvements de contestation au sein de la jeunesse en particulier.
L’affaire (d’Etat ?) Arago est emblématique de l’idéologie sécuritaire qui fait désormais de la rue la priorité des politiques pénales, où l’ordre public est convoqué pour justifier une mobilisation policière et judiciaire permanente et immédiate, alors que les tribunaux sont encombrés pour d’autres contentieux.
Ce qui se dessine sous nos yeux et ceux de nos enfants, qui ont ici l’occasion de se déciller, c’est — comme le dit Arié Alimi, avocat au barreau de Paris dans sa tribune du 28 mai — « le remplacement d’un système pénal fondé sur la répression d’un acte accompli par un système pénal fondé sur la répression de comportements collectifs, guidé par la logique du soupçon généralisé ».
Les parents d’élèves réunis hier lundi soir à la FCPE ont tous la même intuition : leurs enfants doivent servir d’exemples. Pour décourager les autres de poursuivre le mouvement de contestation contre l’esprit et la lettre de Parcoursup notamment.
Les lycéens mineurs ont pour un certain nombre fait l’objet d’un rappel à la loi, mesure décidée par le procureur seul, sans jugement. Quelques-uns ont été mis en examen par un juge pour enfant qui ouvrira une enquête. Certains seront convoqués à une date ultérieure pour être directement jugés par le tribunal pour enfant. Et tous seront fichés. Prélèvements d’ADN compris, pour nourrir le fichier des empreintes génétiques.
Mais même la plus faible des sanctions n’est pas anodine, ni dans ce qu’elle signifie pour les mineurs, ni dans sa portée politique. Si le « simple » rappel à la loi est une mesure qui n’emporte pas d’inscription au casier judiciaire, elle n’est pas dénuée d’efficacité en termes de contrôle social. En effet, elle ne peut faire l’objet d’une contestation ni d’un débat contradictoire. Elle donne pouvoir à un procureur de décider de mesures de réparations sur des adolescents sans jugement, désormais fichés, reconnus comme délinquants, sur lesquels pèsera à l’avenir le risque d’être à nouveau appréhendés dans le cadre d’une manifestation et celui d’être renvoyés devant un tribunal correctionnel qui tiendra compte de cet antécédent. Très clairement, « l’orientation décidée par le procureur est toute révélatrice d’une volonté politique visant à réprimer l’expression politique et le droit de manifester ». Il s’agit là d’une stratégie qui « conduira à dissuader les uns de s’engager et les autres à la confrontation violente et plus clandestine », comme l’explique Arié Alimi et le redoutent de nombreux parents.
Depuis le 22 mai, les remontées des représentants de parents élus FCPE parisiens sont nombreuses qui témoignent d’une présence policière accrue devant plusieurs lycées de la capitale. Sans qu’on puisse a priori les imputer à une vigilance anti-terroriste accrue. Quels sont alors le sens et le message envoyé par la mise en place de tels dispositifs ? A l’évidence, cela pourra être mal interprété : de la sécurisation à la provocation…
La FCPE Paris demande que soient préservés le droit de manifestation et de réunion de tous les citoyens, y compris mineurs, le respect des individus et des procédures dans le cadre de l’Etat de droit, et surtout la fin des consignes politiques visant à la répression brutale de toutes formes d’expression d’une contestation citoyenne et politique, au nom de prétendues nécessités d’ordre public.
Retrouver le communiqué de la FCPE Paris LYCÉENS MINEURS ARRÊTÉS EN MARGE DE LA MANIFESTATION DU 22 MAI 2018 À PARIS du 24 mai 2018