Spécialités 1ère générale : premiers éléments d’analyse

Cette rentrée scolaire a vu la mise en place des enseignements de spécialité en 1ère générale. Publiée en novembre 2019, une note de la DEPP (Direction de l’Evaluation de la Prospective et de la Performance) permet de disposer de 1ers éléments d’analyse : renforcement des inégalités sociales et de genre en matière d’orientation, poids plus important des mathématiques, accentuation des différences entre public et privé.
Un rôle prépondérant des mathématiques
La mise en place des 3 spécialités en 1ère générale, remplaçant la structuration par filière (S-ES-L), n’a pas d’impact sur le rôle pivot des mathématiques dans le choix d’orientation des lycéens, avec un maintien des inégalités sociales et de genre en matière d’orientation. Au contraire, le poids des mathématiques s’est renforcé puisque qu’il a été choisi par 69% des élèves en 1ère générale (pour mémoire, la section S regroupait 52%.) avec un programme beaucoup plus difficile par rapport à celui de la section S.
Les lycéens sont confrontés à une réalité stressante pour ne pas dire plus : difficultés face aux exigences du programme en mathématiques, flou sur les évaluations, choix déjà à faire pour la rentrée 2020 entre les 3 spécialités des 2 spécialités qui seront conservées en terminale (nous sommes en novembre !).
Si l’objectif est de sélectionner les élèves par leur niveau / appétence aux mathématiques, c’est gagné.
Tout en sachant que dans l’enseignement supérieur, un grand nombre de filières exige un certain niveau en mathématiques, tout en restant opaque sur les critères locaux de choix.
L’enseignement privé ne sait pas tromper sur ce point en favorisant les combinaisons scientifiques comme le montre les statistiques de la DEPP, ceci renforçant la différenciation entre public et privé.
Des choix d’orientation renforçant les différences sociales et de genre
Sans que cela soit un objectif recherché de la mise en place des spécialités, on ne peut que regretter les différences marquées liées au genre qui se sont accentuées par rapport aux sections S, ES, L.
Au sein des spécialités en humanités, littérature, langues et SES, les filles représentent 85% des effectifs. Pour les spécialités mathématiques, numérique, physique-chimie, on retrouve 87% de garçons (source : Café pédagoqique)
Les spécialités mathématiques et physique-chimie sont plus choisies par des élèves venant de familles très favorisées et favorisées.
Cela se traduit également par le poids des spécialités mathématiques et physique-chimie au sein des établissements privés accentuant la différenciation public/privé
Une atomisation de la notion de classe renvoyant chaque élève à son parcours individuel
L’objectif de la réforme était de faire primer la logique individuelle au détriment de la dynamique de groupe, c’est gagné aussi, avec comme conséquence la remise en cause de la notion de classe, la difficulté à organiser des conseils de classe, la difficulté de constituer des groupes de travail entre élèves pour s’entraider et mener des travaux collectifs.
Dans certaines combinaisons, on peut trouver un seul élève. Dans la réalité, seules 7 spécialités (sur les 19 existantes) regroupent 10% et plus des élèves.
Dans l’académie de Paris, la DEPP dénombre 193 combinaisons possibles (sur les 426 recensés nationalement). Il faut 12 combinaisons pour regrouper 80% de l’effectif en 1ère générale à Paris. A noter les Académies de Versailles et de Créteil sont celles où le nombre de combinaisons est le plus important (respectivement : 243 et 237).
La triplette Maths, Physique-Chimie, SVT a été la plus retenue, elle regroupe 28% des élèves en 1ère générale.
On entend déjà, dans un certain nombre de lycées, la remise en cause du choix pour imposer des combinaisons (recréant dans les faits la logique de filières) au vu des difficultés rencontrées !
Les combinaisons possibles montrent également les disparités existantes entre les régions par rapport à l’offre proposée au niveau des lycées, posant de façon très concrète la question de l’égalité d’accès sur l’ensemble du territoire (la proposition du CNED ne peut pas être satisfaisante, d’autant que la décision relève du Recteur d’académie).
Des conditions inacceptables de mise en place d’une réforme des lycées.
Pour la FCPE Paris, cette réforme des lycées avec l’introduction des spécialités a été maintes fois dénoncée aussi bien au niveau national que parisien. Le constat est celui d’une vision politique assumée par le Ministre Jean Marie Blanquer remettant en cause profondément le système scolaire et la notion même de service public de l’éducation.
Comme l’a clairement montré le sondage en ce début d’année scolaire, la rentrée 2019 au lycée, c’est synonyme de :
- Renforcement de la sélection par les mathématiques
- Orientation renforçant les inégalités sociales et de genre (toujours en attente pour obtenir des informations sur les 54 heures d’accompagnement à l’orientation – au-delà du guide ministériel – accompagnement)
- Absence de lien avec Parcoursup, notamment en matière des critères locaux de choix des établissements d’enseignement supérieur
- Mépris pour les élèves en situation de handicap pour pouvoir être accompagné dans des conditions correctes pour les examens prévus en janvier 2020 (voir à sujet l’alerte de la FCPE Paris)
- Pression accrue sur les élèves et leur famille (choix de l’abandon d’une spécialité dès novembre pour l’entrée en terminale, anxiété par rapport aux évaluations/examens, sentiment de difficulté et d’échec par rapport au contenu de la spécialité mathématiques)
- Des emplois du temps usant pour les élèves : pause déjeuner réduite ou inexistante, périodes creuses dans la journée, concentration sur 2 jours de certains enseignements, cours le mercredi après-midi.
- Non prise en compte des redoublants en terminale : la FCPE accompagne des parents pour faire respecter le droit de leurs enfants jusque dans des démarches juridiques (cf. action FCPE 92).
Toute critique, objection ou question est considérée comme renforçant l’angoisse des parents et des élèves ! De qui se moque-t-on, n’est-ce pas le Ministère qui en est à l’origine en voulant poursuivre une réforme du système scolaire par touches successives pour éviter tout débat de société. On peut douter de la pertinence du comité national de suivi de la réforme du baccalauréat général et technologique pour apporter de réelles réponses aux élèves et parents.
Au final, l’objectif est atteint. L’ensemble de la communauté est concentrée à trouver des solutions à une réforme, centrée sur les spécialités et la fin des filières, qui a fait l’objet de critiques dès son projet, le débat sur les conséquences de la disparition d’un baccalauréat national disparait, au profit de celui de l’individualisation du parcours et de l’accès à Parcoursup (en sachant que le contenu des dossiers est utilisé pour faire la sélection : quid …). Les questions d’inégalités par rapport à un baccalauréat et l’individualisation des parcours sot gommées.
Favoriser l’orientation et la mise en place de réels parcours individuels : une fausse bonne idée… sauf si on veut légitimer la fin d’un baccalauréat national, renforcer la logique de sélection à travers un programme mathématiques difficile, pérenniser les orientations en fonction du genre et de l’origine sociale, renforcer l’autonomie des établissements. Il ne s’agit pas d’impréparation mais bien de mettre en place un autre système scolaire.
Sources :
- DEPP, note d’information n°19.48, Choix des 3 spécialités en 1ère générale à la rentrée 2019 : 15 combinaisons pour 80% des élèves.
- Article du Café pédagogique : Lycée : La réforme n’a pas gommé les inégalités sociales et de genre dans l’orientation